jeudi 31 décembre 2009

Souvenirs culinaires du Japon

Au marché, la matière première est bien protégée...
... on en fait de magnifiques plateaux de sushis...
... ou d'impressionnantes assiettes de sashimis
Tiens, de l'abalone rôtie et du bar en croute de sel

Le petit déjeuner dans un ryokan: mais où diable sont les baked beans?
Des bentos en vente dans une gare... ça change des sandwiches du bar TGV
Dans les échoppes à udon, pas besoin de menu, tout est en vitrine
Les tonkatsu ramen s'engloutissent en cinq minutes maxi
Un yakitori-ya, vive le graillon made in Japan

mardi 29 décembre 2009

Shan Goût: La Chine anorexique

Voici un petit restaurant; niché dans les rues calmes (mortes?) du nord de la coulée verte, qui a bien fait parler de lui cette année, porté par une folle rumeur, une lueur d'espoir: oui, enfin, un frémissement affleurait dans le monde sinistré de la gastronomie chinoise à Paris, univers sur la défensive, comme dévitalisé et effrayé par l'abondance, l'énergie brute et les prix imbattables des centaines d'établissements peuplant les chinatowns du XIIIème arrondissement et de Belleville.

De fait, Paris possède très peu de restaurants chinois haut de gamme, et un petit tour à Shanghai, Hong- Kong ou Taipei suffit pour déchirer le voile et mettre à nu la pauvreté des ambitions culinaires des rares établissements chics de la capitale, satisfaits d'épater le curieux en placardant un cadre opulent (les dragons de pierre de Tsé Yang trônant avenue Pierre 1er de Serbie) sur des plats sans grande personnalité.

Pire, d'autres misent sur une pseudo carte "sino-thai", s'affranchissant de toute logique régionale ou nationale et n'hésitant pas à faire flotter, dans une vilaine apesanteur de cuisine internationale, canards pékinois, porcs sauce aigre douce, currys thais et salades de pomelos: aurait-on idée de proposer là bas, dans les miroirs d'un décor grand siècle de carton pâte, une cuisine "franco-allemande" brassant galettes bretonnes, bouillabaisse, pot au feu, magret de canard, kartoffelsalat et currywurst?

Face à ces horreurs, il semble que notre Shan Goût soit entré en résistance en proposant une carte avec de vraies racines régionales (la cuisine du Sichuan): salade piquante de concombre, boeuf froid épicé, nouilles à la pâte de sésame, poulet froid mariné au vin de riz sont autant de propositions rares.

Shan Goût se veut également gastronome: et offre, dans un joli contre-pied aux menus à rallonge standardisés, une carte réduite, "à l'occidentale", cinq ou six entrées puis plats habilement présentés.

Alors Shan Goût, réussite totale? Malheureusement, la réalité n'est pas totalement à la hauteur de l'espoir créé par ces louables intentions. L'idée d'un bistrot chinois est ravissante, mais la petite salle chichement décorée fait triste figure quand on songe aux boudoirs gastronomiques meublés d'antiquités peuplant les hauteurs de SoHo à Hong-Kong.

Ne proposer, tel un grand chef, que quelques plats, pourquoi pas, mais la cuisine, plaisante, n'est pas non plus excellente, à l'image d'un poulet aux châtaignes cuit à l'étuvée affadi par le choix d'y mettre des blancs de poulet et non le volatile entier, comme ce type de plat l'exige.

Enfin, certaines portions sont si ridiculement petites qu'elles suscitent l'incompréhension. Quelle équation économique secrète pousse le chef, lorsqu'on commande un malheureux plat de choux chinois (le vulgaire bai cai), à présenter une feuille de choux de 30 grammes tranchée en quatre dans une soucoupe de tasse de café? Quel but caché poursuit Shan Goût? Donner une médaille au premier client affamé qui commandera cinq fois le même plat? Vivre pendant un an du même choux et s'épargner ainsi des courses chez Frères Tang? Surtout: comment peut-on prétendre revenir à l'essence de la cuisine chinoise et oublier l'essentiel, l'esprit de générosité et d'abondance qui la caractérise?

Le mystère de ce ballon d'essai, frustrant car imparfait, reste entier. Mais nous ne désespérons pas de voir des successeurs corriger ces défauts dans un futur proche...

Addition: 40 euros par personne

Shan Goût
22 rue Hector Malot
Paris 12ème
01 43 40 62 14

samedi 28 novembre 2009

Chez Miki: Fusion de poche

En ce moment les sorties se font rares, un petit tour le long des rues du haut marais ou autour de République au maximum pour aller faire des courses. Les souvenirs des soirées au restaurant s'estompent... Mais certains affleurent encore, comme cet excellent dîner chez Miki, près de la rue Saint Anne, au printemps dernier.

Miki est bien sûr un restaurant japonais (qui l'eut cru dans ce quartier?), mais attention, un lieu loin d'être classique: ni échoppe à ramen, ni bocal à sushis, ni grand restaurant kaiseki, il perpétue la tradition d'improbables restaurants de poche : certains se souviennent-ils de sushi-ya, la cantine du 19ème arrondissement et son ronchonnant et incompréhensible patron servant de grandes assiettes de sushis à quatre tablées dans son local de 10m2? Hé bien Miki n'est pas loin d'être aussi minuscule, une quinzaine de couverts concentrés sur quatre ou cinq tables dans un bout de couloir, séparé de la cuisine ouverte par un comptoir. Comme les mini-restaurants nichés sous les ponts ferroviaires ou dans les stations de métro à Tokyo, cette petite salle n'en n'est pas moins accueillante et proprette.

L'originalité ne se limite pas à la taille, mais est également dans le concept: Miki organise sa carte de façon bistrotière: grande ardoise dans laquelle on pioche son entrée (carpaccios, salades), son plat (viande ou poisson) et son dessert... Les plats sont par contre japonais: le carpaccio est de la daurade au yuzu, la salade à base de nouilles froides au thé vert, la viande de l'entrecôte "à la japonaise" et le poisson du saumon grillé au miso. A noter: des plats de pâtes très tentants, à base d'udon ou de soba, mais conçus à l'occidentale.

Le résultat est une éclatante réussite: des saveurs pleinement japonaises (voire un goût de yuzu trop prononcé dans le carpaccio), des ingrédients frais, combinées au plaisir des yeux et à la rythmique d'un repas à la française, et à la gentillesse de l'accueil des deux cuisinières.

Miki c'est une idée jolie comme une boîte à bonbon, celle d'une fusion des cuisines ne passant pas par le contenu de l'assiette, mais, de façon plus subtile, par la combinaison des saveurs japonaises et du temps français.

Addition: 40€ par personne

Chez Miki
5, rue Louvois
Paris 2ème
01 42 96 04 88

mercredi 11 novembre 2009

Jipangue: A la recherche de la viande perdue

Il y a deux semaines, pour un premier restaurant depuis bien longtemps, une subite et irrépressible envie de viande m'a submergé, et nous nous sommes donc mis à la recherche d'un restaurant... japonais.

J'en vois déjà certains qui haussent le sourcil et ricanent, ceux pour qui manger japonais, c'est déguster pour un prix exorbitant, l'air pénétré, huit sushis dans une assiette trop grande, chuchotant leur bonheur de trouver enfin des lamelles marines d'exception (oursins, abalones, thon gras, vernis) dans le silence d'un salle contemporaine, à peine troublé par les gargouillantes protestations de notre ventre affamé. Ou d'autres qui détournent la tête, écoeurés par le souvenir de trop de menus brochettes avalés avec des collègues à midi, trop de boulettes mollasses d'origine indéfinie à noyer rapidement dans de la sauce soja, trop d'improbables rouleaux de boeuf au fromage liquéfié collant au palais tout l'après-midi.

Ces mécréants se trompent lourdement. La cuisine japonaise sait parfaitement accommoder la viande, ayant emprunté cet art essentiellement à la Chine et la Corée.

De Chine est venu le shabu-shabu, une fondue de grandes tranches de boeuf extra-fines, de légumes, de tofu cuits dans un bouillon clair, que l'on plonge dans des sauces (une à base de sésame, l'autre de yuzu) avant de déguster. Le sukiyaki est une variante extrêmement populaire: les ingrédients sont ici cuits dans un mélange de sauce soja, de vinaigre, de sucre et de sake, avant d'être trempé par chaque convive dans un oeuf cru légèrement battu, puis avalé.

De Corée est venu le yakiniku, le barbecue, où des tranches de viande sont grillées à même la table, sur un plateau spécial ou un gril encastré, le tout accompagné de petites assiettes de légumes piquants fermentés, les fameux kimchis coréens (kimuchi en japonais) dont la saveur extra-forte s'équilibre agréablement avec le riz blanc.

Shabu-shabu et sukiyaki sont des plats de luxe, qui se mangent dans des restaurants assez haut de gamme au Japon, et dans une ambiance digne. Dans mes souvenirs, le yakiniku est beaucoup plus informel, l'alcool y coule à flot entre collègues braillards profitant d'une bonne grillade.

Pour assouvir notre faim, étant parisiens, nous sommes allés chez Jipangue, un restaurant un tantinet vieillot sis dans le 8ème arrondissement, qui a l'insigne avantage de proposer ces plats à des prix relativement abordables (dans un restaurant haut de gamme, le shabu shabu sera vite facturé plus d'une centaine d'euros pour deux). Ayant pris le soin de réserver une table à l'étage (celui spécialement équipé pour les barbecues), nous avons pu profiter d'excellents kimuchis faits maison, n'ayant pas le goût désagréablement métallique et la texture trop molle des kimchis de conserve, puis d'un yakiniku de porc mariné au miso et d'entrecôte de boeuf, et d'un sukiyaki.

La soirée était donc réussie, et la grillade de bonne facture, mais laissait un regret, commun à de nombreux restaurants japonais de Paris (sauf ici, mais tout se paie): des tranches de viande trop fines, véritables feuilles type carpaccio, et qui ne permettent pas vraiment d'en apprécier la texture et le fondant.

Je me souviens encore avec émotion d'une boucherie à Takayama, dont l'étage, bondé, faisait yakiniku. Nous avions le choix entre une dizaine de morceaux de ce fameux boeuf, les plus prisés étant ceux dont la graisse persillait la viande. Les tranches, petites de taille, étaient assez épaisses, coupées un peu comme des tranches de sashimi, et, grillées, étaient d'un onctueux dans la bouche que je n'ai pas retrouvé depuis...

A quand un restaurant de yakiniku proposant de la viande de boeuf d'origine aux caractéristiques similaires au wagyu, le boeuf japonais (pourquoi pas de la Salers...)?

Addition: 50€ par personne

Jipangue
96, rue de la Boétie
Paris 8ème
01 45 63 77 00

dimanche 1 novembre 2009

Lao Lane Xang II: Quand la foule a raison

Nous sommes allés chez Lao Lane Xang II, appâtés par les critiques unanimement élogieuses, et tiraillés par l'envie de replonger, le temps d'une soirée, dans l'atmosphère joyeusement bordélique du chinatown du XIIIème. Franchi le carrefour de Tolbiac, le long des avenues parallèles de Choisy et d'Ivry, sous la canopée des marronniers, l'illusion d'une télé-transportation « là-bas » est totale: les tours résidentielles des années 1970, le flot des passants, les traiteurs et leurs canards laqués suspendus en vitrines, les agences immobilières ou de voyages, les disquaires et libraires dans les galeries marchandes aveugles, les boulangers et leurs énormes gâteaux mousseux plâtrés à la crème blanche, les supérettes et l'odeur fade et écoeurante des durians; tout tourbillonne autour de l'épicentre absolu du quartier, les Frères Tang, ce grand hangar jouant au supermarché, et sa longue file de voitures paralysées et klaxonnantes, cherchant désespérément à entrer dans son parking souterrain gratuit le dimanche après-midi.

Ce qui est frappant dans ce quartier, c'est qu'il est tout sauf chinois, ou plutôt, il est chinois de partout, sauf de Chine: ses habitants sont en majorité ethniquement chinois (du Guangdong), mais ils étaient établis depuis des générations en Asie du sud-est, avant d'émigrer en France, chassés par l'avancée du communisme: ils ont amenés dans leurs bagages les goûts et les odeurs du Vietnam, du Laos, du Cambodge, la citronnelle, la menthe, le nuoc-mam, plus que les raviolis et petits pains de Pékin, les plats braisés à la sauce soja épaisse de Shanghai, ou le feu des piments du Sichuan.

Pas étonnant finalement qu'en dehors de l'imputrescible Sinorama, dernier vaillant défenseur de l'authentique cuisine cantonnaise, les meilleurs plans du quartier soient plutôt de traquer un phô, de poursuivre le bobun ou d'attaquer un poulet à la citronnelle.

Et chez Lao Lane Xang II, le terrain de chasse est incontestablement giboyeux.

Le restaurant est moderne, un peu comme ces cafés de boulevard systématiquement relookés à la sauce Habitat, où triomphent écrans plats et panneaux de particule gris, mais dans ce cas précis c'est loin d'être irritant, notre ami se distinguant ainsi agréablement de ses innombrables collègues aux décors désuets. L'accueil est pressé car le succès du lieu est total: sans réservation, y compris un lundi soir, il est inutile d'espérer entrer, et plusieurs services tournent sur chaque table.

La carte, essentiellement laotienne avec quelques ajouts thai, est un sans-faute: des currys très honorables, des tripes croustillantes, onctueuses et poivrées, des brochettes de porc à la citronnelle vraiment grillées et non baignées dans l'huile comme trop souvent, un « lap nua » (salade au boeuf haché) plein de saveurs, des propositions de légumes originales: pousses de bambous fraîches, cai lan sauté au poisson séché.

En goûtant les plats, nous avons vite compris que la foule faisant la queue jusque sur le trottoir, et les critiques unanimes, étaient dans le vrai: on peut difficilement demander plus que des plats copieux, peu onéreux, et goûteux.

Addition: environ 30€ par personne

Lao Lane Xang II
102, avenue d'Ivry
Paris 13ème
01 58 89 00 00

dimanche 11 octobre 2009

Fulvio: Les pâtes aux oeufs d'or

Nous avons beau prétendre être décontracté, prendre une pose détachée, lorsque l'addition est présentée dans un restaurant que l'on découvre, il y a fatalement une petite accélération cardiaque, d'autant plus vive et pointue si les plats ont un peu déçu, ou si la carte a laissé entrevoir des prix sortant de notre zone de confort. Pour résister, certains pratiquent l'évitement en enquillant deux kirs, une bonne bouteille de Côtes du Rhône à 14,5 avant d'achever leur peur de l'instant fatidique à coups de vieilles prunes. D'autres deviennent des furieux du calcul mental, additionnant les montants au fur et à mesure de la commande, puis déconstruisant la note avec acharnement afin que chaque convive paie strictement son dû, pourboire proportionnel inclus.

Pour ces derniers, la « vraie » trattoria italienne doit être une terrible épreuve. Par « vraie » j'entends ces cantines modestes en Italie où l'on est accueilli « comme à la maison » par un patron qui vient poser une main rassurante sur notre épaule, celle du dentiste qui jure que tout va bien se passer, puis nous susurre dans l'oreille une litanie incompréhensible de plats, nous demande si l'on veut « du vin », promet avec un sourire entendu qu'il a une excellente bouteille pour nous, arrache sa commande et s'en va préparer le festin sans mentionner de prix, sans donner de carte, et sans afficher de menu.

Il y a un peu de cette approche chez Fulvio, petit restaurant sarde perché dans le haut du Marais, près de l'opulente et irritante rue de Bretagne. Non que notre ami n'affiche pas ses prix, mais qu'un dîner là bas, si l'on n'a pas atteint un détachement éthéré envers des choses vulgaires comme la caillasse, s'achèvera forcément par une petite suée d'angoisse et un rapide calcul de rapport qualité prix, tournant et retournant l'équation insoluble (sauf dans l'alcool) suivante: un excellent plat de pâte peut-il valoir 30 euros?

Les partisans de la rationalité, défenseurs de la logique (les pâtes ça ne coûte rien donc ça ne peut être vendu cher) et de la clarté des prix (chez Hippopotamus ils ont baissé les prix de tous les plats, eux) détesteront l'endroit. D'autres, ayant pris la sage précaution d'éviter le week-end (la salle est toute petite et, bondée, doit être assez bruyante) et de casser au préalable leur PEL, pourront profiter de superbes propositions de pâtes variées et aux ingrédients alléchants: en ce lundi soir de septembre, nous avons dû choisir entre la poutargue, l'oursin, le tourteau, l'espadon, les cèpes, les girolles, les asperges... Le tout parfaitement exécuté, plein de saveurs, et bien enrobé par un patron passionné par les beaux produits , et qui, la salle n'étant pas pleine, a pu prendre le temps de discourir avec nous sur les qualités de sa poutargue sarde. Les quantités sont généreuses, et les entrées (de bonne facture) se partagent généralement si l'on veut garder la place pour un dessert.

En résumé, Fulvio nous a beaucoup plus, et l'excellence de la dégustation vaut largement l'addition. Surtout après avoir abusé du bon vin sarde recommandé par la maison...

Addition: 60€ par personne

Fulvio
4, rue du Poitou
Paris 3ème
01 42 71 62 80

lundi 28 septembre 2009

La Cagouille: Le bon poisson de province

Les torrents d'injures déversés sur les adresses bobovores soulignent que les amateurs de bonne bouffe sont avant tout de grands conservateurs. Loin de rechercher le frisson de cuisines étrangères ou pire, la haute voltige de plats fusions, ils recherchent avant tout du terroir, de la tradition intacte, de l'authenticité qui rassure.

A la Cagouille, que nous avons visité cet été, tout est fait pour satisfaire ces amateurs, surtout ceux à la recherche d'un bon restaurant de poisson bien d'cheux nous. Le cadre est surprenant en plein Paris: une petite place perdue derrière la gare Montparnasse, au calme, un endroit qui pourrait exister ici et ailleurs, dans n'importe quelle ville de France, si propret dans son alignement d'immeubles résidentiels modernes, de balcons aux VTT du dimanche sagement rangés à côté de chaises et tables en plastique prêtes à être déployées pour les pierrades entre amis dès qu'il fait beau.

Le restaurant dispose d'une denrée rare à Paris, et qui accentue l'impression de dîner en province: l'espace. Une grande terrasse confortable séparée de la place par des plantes. Une vaste salle aux éclairages un peu trop puissants, des tables, miracle, éloignées les unes des autres. En guise de décoration, des noeuds marins cloués aux fausses poutres. Le service est très aimable, et plein de petites attentions: un jus de tomate offert à madame qui ne voulait pas d'apéritif alcoolisé, des petites coques poêlées au beurre pour la mise en bouche. La carte, courte, est complétée de nombreuses propositions du jour crayonnées sur un tableau: des plats simples, familiaux, et qui ne déçoivent pas, misant tout sur la fraîcheur impeccable des produits. Nous avons pu ainsi profiter de céteaux à la poêle, de calamars frits à l'ail et oignon, puis d'un maquereau sauce moutarde et de rougets barbets frits. Les desserts (une tarte aux mirabelle et une triste assiette de fraises des bois) étaient par contre clairement à oublier, et il fallait un effort pour dénicher dans la carte des vins une bouteille à moins de 30 euros.

Un dîner à la Cagouille, c'est finalement un petit aller-retour à peu de frais dans une France rêvée: celle des beaux produits, des plats traditionnels, d'un service qui prend le temps, mais aussi de clients notables, pansus et satisfaits, amateurs de cigares et de bons mots. En quittant le restaurant, nous avons croisé Jean-François Coppé attablé en terrasse, puis dépassé sa Safrane noire garée devant le restaurant, moteur en marche, son chauffeur lisant et relisant, visiblement au bord de l'endormissement, quelques pages d'un Figaro froissé...



Addition: 50 euros par personne environ

La Cagouille
10, place Constantin Brancusi
Paris 14ème
01 42 22 09 01

www.la-cagouille.fr

jeudi 24 septembre 2009

Quand le Figaroscope ouvre la chasse aux bobos

La période n'étant pas propice à la rédaction de longs textes, je reprends, dans ma paresse, un article du Figaroscope du début de l'année consacré aux bobovores...

Le billet est vif et joliment tourné, personnellement, j'adore.

Mais comme souvent dans le Figaro, l'essentiel du spectacle est ailleurs: prenons donc le temps de parcourir les commentaires, comme on se délectait du courrier des lecteurs d'un Fig Mag froissé dans la torpeur d'une salle d'attente chez son dentiste.

Que retenir? Le "bobo", même à table, reste une cible d'autant plus parfaite que totalement fantasmée. On a donc droit à un récital de grands classiques, la dénonciation de la gauche caviar (z'ont qu'à donner leur fric aux restos du coeur au lieu de se goinfrer s'ils sont vraiment de gauche), le chant de la résistance contre les empêcheurs de jouir en rond (non à l'oppression du bio et des régimes), l'anti-élitisme, notamment celui, honni, du parisien cosmopolite, autant de jérémiades dessinant en creux l'image nostalgique de la vraie France au resto: des bonnes assiettes du terroir bien pansues à prix modique dans une auberge de campagne, une brasserie début du siècle, toute en dorures et serveurs en veston, pour les déjeuners de famille dominicaux, un pays où les traditions seraient respectées.

Reste à voir comment réagiraient nos commentateurs si d'aventure le Figaroscope décidait, dans un improbable mouvement d'humeur, de se tirer une balle dans le pied en dénonçant les adresses surfaites et vaniteuses du triangle d'or parisien...

dimanche 13 septembre 2009

Meiji: Le Japon s'ouvre à l'occident

Certains sont à la recherche d'authenticité quand ils vont manger japonais, sensibles à l'accueil et aux petites touches d'attention généralement prodigués dans les vrais établissements nippons. Ceux là se dirigent naturellement vers le «nipponland» entre Opéra et Palais Royal, ses nombreuses échoppes à ramen, à udon, ses épiceries, ses petits restaurants sans prétention. D'autres cherchent plus d'épate, de brillant, et se dirigent évidemment vers l'épicentre du bling bling, les Champs Elysées. De nombreux restaurants japonais se sont établis dans le 8ème arrondissement pour capter la clientèle d'affaires et les touristes opulents venus faire leurs courses rue François 1er ou avenue Montaigne.

Meiji est un de ces restaurants et jouit d'une bonne réputation. Une discrète entrée rue Marboeuf donne sur une petite cour intérieure dont un coin a été transformé en fort joli jardin japonais de poche, pierres moussues et petit cours d'eau inclus. L'établissement est au fond de la cour, avec une salle à gauche ouvrant sur le jardin, généralement prise d'assaut, un long comptoir de service permettant de voir les cuisiniers à l'oeuvre, notamment celui chargé des brochettes, les yakitori, et une succession de salles tout en longueur sur la droite. L'ensemble est de bon goût, discrètement moderne, sombre à souhait, les tables un peu serrées peut-être.

La carte est très variée et authentique: un choix très vaste en matière de sushis, sashimis et makis, beaucoup de petits plats cuisinés, et surtout, une longue liste de yakitoris, ces brochettes grillées au feu de bois si galvaudées ailleurs. Evidemment, pas de boeuf au fromage, hérésie destinée aux centaines de faux japonais qui colonisent la capitale, mais des possibilités rarement trouvées ailleurs: brochettes de peau de poulet grillé ou de cartilage... passées sur un vrai charbon de bois et bien assaisonnées...

L'ensemble forme donc un très bon restaurant. Mais un vague doute subsiste, et perdure après plusieurs visites. Pourtant tout est parfaitement conçu, les plats sont bons, les prix contrôlés, le mobilier épuré, l'ambiance confortable, les lumières tamisées, le jardin est zen... Et puis on comprend: on voit peu, très peu de clients japonais. D'ailleurs, le service n'est pas assuré par des japonais, mais par de jeunes français chics et blasés, au style si couru dans le triangle d'or parisien. Notre Meiji s'est donc bien ouvert à l'occident, et a abandonné dans l'histoire le fond pour la forme: derrière une carte et une cuisine irréprochables, l'amabilité, la douceur et la gentillesse si typiques du service japonais ont disparu pour laisser place à la froide efficacité d'un traitement campo-élyséen.

Addition: environ 60€ par personne

Meiji
24, rue Marboeuf
Paris 8ème
01 45 62 30 14
http://www.restaurant-meiji.fr

dimanche 30 août 2009

Zen: Le juste milieu

Le nippophile éclairé sait désormais éviter les faux japonais, leurs menus standards (serviette javellisée-petite salade-sushis-brochettes-soupe miso-faux saké), leurs noms de cour d'école (samourai, banzai, tokyo), leurs néons, mais se retrouve souvent face à un dilemme: soit aller rue Saint Anne dans une échoppe à ramen ou à udon, faire la queue une demi heure sur le trottoir étroit, avaler une authentique et superbe soupe de nouilles pour se retrouver dehors dix minutes plus tard, soit réserver une table dans un restaurant de cuisine kaiseki, dîner superbement mais se retrouver délesté d'une bonne centaine d'euros à la fin du repas.

Heureusement, il existe des adresses familiales où l'on peut manger un vrai repas japonais pour un prix raisonnable, et Zen est certainement un des meilleurs dans cette catégorie. Le restaurant, bien sûr situé dans le « nipponland » entre l'avenue de l'Opéra et Palais Royal, est résolument moderne, pimpant, à l'image de ses murs blanc et vert acidulé, ou de ses serveurs, de jeunes japonais sympathiques. Mais l'émotion s'empare du client à la lecture de la carte, véritable trésor sans fin: du snacking (de délicieuses et gigantesques soupes de ramen au bouillon plus onctueux et plus puissant qu'ailleurs, des riz au curry) aux petits plats (algues, salades, légumes vinaigrés, sushis, sashimis, poissons grillés, poulet frit à la japonaise, steaks) permettant de composer un repas complet, avec quelques perles comme un sashimi de maquereau mariné, une salade de navet aux feuilles de shiso, des aubergines sautées marinées au miso. Les amateurs d' »unagi » (l'anguille grillée) sont également servis, et nous avons cru voir la dernière fois une proposition de « nabe » (le pot au feu japonais). Comme si cela ne suffisait pas, il existe également une dizaine de propositions du jour alléchantes et inventives, et le restaurant est ouvert même le dimanche soir... Les clients, en majorité japonais, sont là pour témoigner du succès mérité de la formule. Il ne tient qu'à vous de vous glisser parmi les amateurs parisiens éclairés...

Addition: entre 20€ (en cas de snack) et 50€ (pour un repas complet)

Zen
8, rue de l'Echelle
Paris 1er
01 42 61 93 99

mercredi 19 août 2009

Chez Michel: Le phare breton

Nous avons continué ce printemps notre tournée des bistrots installés de la capitale. Et Chez Michel est une case indispensable à cocher dans tout carnet qui se respecte. Par hasard, nous connaissions le restaurant depuis bien longtemps, il y a sept ou huit ans au moins, quand nous n’avions jamais entendu parler de bistronomie, ni de Camdeborde, ni de ses amis, ses disciples, ou ses nombreux imitateurs.

Chez Michel est un classique, acclamé de toute part. Du sérieux, de la référence. Selon les connaisseurs, un grand spécialiste de gibiers en saison, ce qui n’est pas forcément notre tasse de thé. Nous pensions plutôt à l’époque à un restaurant breton. Qu’importe, l’essentiel est dans l’assiette, dans ces retrouvailles, armés de notre connaissance fraîchement acquise d’autres bistrots gastronomiques.

L’endroit n’a pas changé. Installé à l’angle de la rue de Belzunce, la vue sur l’imposant derrière gris de l’église Saint Vincent de Paul, le restaurant est au calme : on a peine à croire que les files de voitures klaxonnantes du boulevard de Magenta sont à deux pas. Le succès est au rendez vous, puisque le bistrot se permet le luxe de fermer samedi et dimanche. La salle est petite, agréablement disposée en cercle autour d’un bar servant plutôt de desserte, deux côtés ouverts sur la rue, murs beiges salis, poutres en bois. L’accueil est efficace, rapide, mais reste sympathique : tout est donc en place pour replonger dans l’ardoise du menu.

Nous sommes vites rassurés : si le choix est plutôt restreint, dans des plats aux ingrédients modestes si l’on évite la tentation des plats avec suppléments, tout est maîtrisé et savoureux : des sardines marinées dans un bocal de verre, une tranche de pâté d’oreille et une salade verte avec ses grands brins d’aneth frais, des classiques de la maison comme le kig ar farz, le pot au feu de cochon breton dans sa cocotte en fonte. Pour finir, un beau plateau de fromages et sa gelée de cidre, ou les redoutables Paris Brest ou kouign aman, plâtrant les estomacs les plus affamés. Le tout est accompagné d’une grande carte des vins et la possibilité de prendre la plupart des bouteilles au compteur.

Que reprocher à Michel ? D’avoir la main très lourde sur les suppléments : certes il s’agit souvent produits de rares ou de prestige (truffes, coucou de Rennes, salade de homard, canard au sang, gibier en saison), mais les plus huit, douze, voire vingt euros et au delà volent bien trop facilement, y compris pour une malheureuse coupelle de gariguettes, quand d'autres, tout aussi bons, font l'effort de bien plus se contrôler. De céder aux tics bistrotiers de rigueur : le couple de touristes japonais systématiquement placé sur une table indéfendable (ici, littéralement collée à la porte des toilettes), le traquenard de la cave, à éviter absolument si l’on est en couple, où les clients sont parqués à huit sur les bancs d’une table commune prévue pour six.

En résumé, les défauts sont irritants mais classiques. En évitant ces écueils, reste une excellente adresse, tenant solidement son rang dans le panorama parisien.

Addition: 50€ par personne en évitant les suppléments (menu entrée plat dessert à 32€)

Chez Michel
10, rue de Belzunce
Paris 10ème
01 44 53 06 20

mardi 18 août 2009

Samiin, c'est fini

L'été meurtrier semble avoir frappé Samiin- il est vrai que même un vendredi ou samedi soir, dans cette avenue de Breteuil complètement morte, le restaurant faisait à grand peine trois ou quatre tablées.

Nous y sommes retournés il y a dix jours, pour tomber dans un traquenard: même numéro de téléphone, même nom, même décor, cependant, comme dans les films d'horreur, un subtil changement inquiète, inconsciemment, un peu : des bonbons dans des petites coupelles en verre sur chaque table, laids, incongrus.

Nouveauté pensions-nous? La lecture de la carte est un coup de poignard: au lieu de délicatesses introuvables ailleurs comme le bosaam, la soupe coréenne aux racines médicinales, ces nouilles froides uniquement disponibles en été, nous lisons, incrédule: des nems (?), des dims-sums (??), du poulet à la citronnelle (???). Seul plat coréen à survivre au naufrage: le bibimpap. Les serveuses avaient changé: questionnées, elles bafouillent une explication comme quoi le cuistot coréen est parti cet été donc ils font avec un autre cuisinier...

Nous sommes partis sans plus attendre, tristes. Peut être s'agissait-il d'un cauchemard, d'une sous-location d'été, et que tout reviendra comme avant, en septembre. Peut-être...

mercredi 5 août 2009

Mme Shawn: Esprit canal, sors de là!

Certains dimanches soirs, l'apéro achevé, on hésite à faire du chemin pour aller dîner et, dans une logique territoriale rassurante, on se rabat sur les restaurants disponibles dans le coin. Ce soir là nous étions canal saint martin, il faisait encore beau et clair, et les rebords en pierre humide du canal étaient couverts de badauds affalés, accoudés, en tailleur, chaussures enlevées, profitant des rayons bas du soleil, partageant biscuits apéritifs amenés dans un sac en plastique froissé, se passant tour à tour bouteilles de rosé tiède et cigarettes, sous les regards blasés d'un lent flot continu de promeneurs: cyclistes casqués ou débutants en rollers fendant les grappes plus lourdes de jeunes couples à poussettes, ou de familles trainant des mômes revêches accrochés à leurs trottinettes.

Nous sommes allés en face, rue de Lancry, pour trouver, en lieu et place d'un bistrot très agréable il y a quelques années, un restaurant Thai: Mme Shawn. Disons-le tout net: le lieu est un concentré de ce qui peut déplaire. Déjà le sous-titre «thai cuisine», à la typographie soigneusement polie par une agence de com', annonce la couleur: pas de Thailande ici, mais un idéal londonien de minimalisme exotique contemporain, serveurs uniformément mode, clients puants et vigiles à oreillette inclus. La décoration est à l'avenant, concentré de tics horripilants, qu'on soupçonne déjà caducs tant ils sont conçus pour coller à l'air du temps. Et notre esprit se perd en conjectures: l'énorme boule à poils métalliques rose en guise de plafonnier a t-elle une signification particulière? Serait-ce un symbole paix ? Un litchi géant bienveillant? Un rebut d'Habitat triplement soldé? Pourquoi des murs d'anciens bistrots repeints en gris béton? Pour nous imposer une ambiance « de la night », idéale pour jeter un voile pudique sur le contenu des plats? Pour faire ressortir les dorures des éléphants et la lumière vacillante des bougies, facilitant les rapprochements intimes? Mme Shawn, ou l'épate facile à grandes cuillerées de phad thai, dernière station avant une sauvage étreinte au curry?

On comprend mieux pourquoi la cuisine n'est pas le point fort du lieu: des plats corrects, mais dans une variante bien trop sage, rappelant de la cuisine d'aéroport. Une carte déséquilibrée mettant l'accent sur les « plats-repas » individuels: bo-buns, riz sautés, nouilles sautées, accentuant la désagréable impression d'un snack. Un seule proposition de légumes (un chop suey indéfini, bien sûr, permettant de jeter dans un wok n'importe quel mélange de légumes surgelés déstocké chez Métro), rendant impossible la composition d'un repas où l'on partage plusieurs plats.

Allez Mme Shawn, on ne peut pas tout vous reprocher: au moins vous n'avez pas l'indécence de faire payer cher les plats, et le restaurant ne dépareille pas le long de cette rive ouest du canal: entre les vieux beaux attablés en terrasse chez Prune, dînant d'une assiette de tacos au guacamole, et le service exécrable de La Marine, votre bistrot, copie toc de Thai londonien égarée dans un terminal de Heathrow, n'est pas forcément le plus vilain de la bande.

Addition: 30€ par personne

Mme Shawn
56, rue de Lancry
Paris 10ème
01 42 38 07 37

vendredi 26 juin 2009

Glou: Bistrot 2.0

C'était d'un dîner de retrouvailles avec des amis venus de loin, il faisait beau à Paris, et encore meilleur, ce soir de juin, dans la partie encore calme de la rue Vieille du Temple, juste avant que, croisant la rue des Francs Bourgeois, elle ne résonne du brouhaha des fêtes et des bars, dont les foules débordent sur les trottoirs étroits, le verre à la main.

Ce soir là, nous avons pu découvrir, ébahis, un représentant acclamé de la nouvelle génération de bistrots, dont le nom claque comme une évidence publicitaire tant il est dans l'air du temps, tant il est modeste, clin d'oeil vif et malin, onomatopée parfaite du nouveau bistrot: Glou, Glou comme je bois, Glou comme je trinque, je mange, je profite de la vie.

Il est vrai qu'il y a de quoi profiter: l'établissement et ses quelques tables en tek posées sur le trottoir donnent sur le jardin du musée Picasso, et la vue plus ouverte sur les facades magnifiques de cet hôtel particulier, au milieu du dédale chic des rues étroites du marais, en impose sérieusement.

Une fois la porte franchie, le Glou répond aux attentes les plus sophistiquées, et revisite, néobidulise et post-conceptualise à tour de bras: le bistrot, c'est la convivialité du rire gras, les tables collées les unes aux autres, le coude à coude des clients eméchés? La salle longue et étroite s'organise autour de deux longs plans de travail droits sortis d'un encart de Wallpaper, pour que l'on dîne sur le pouce, bonhomme, perché sur de hauts tabourets. Le bistrot, c'est de l'ancien, du poli par les années? Et le Glou nous donne des jolies pierres apparentes, du contraste avec des couleurs vives sur certains murs, de l'escalier en métal ouvrant sur une magnifique salle à l'étage, haute de plafond, dont les grandes fenêtres ouvertes permettent de profiter de la vue sur le musée... Le bistrot, c'est avant tout une affaire de pinard? Affaire réglée, les vins sont à l'honneur, avec propositions crayonnées au tableau, et sélection à la carte que l'on sent travaillée, offrant la possibilité rare de prendre au verre des bouteilles autrement inabordables. La boustifaille dans un bistrot, ce sont des plats modestes pour accompagner le vin ? La carte propose astucieusement des planches de charcuteries, de fromages, quelques plats mettant en avant les produits du terroir (thon de l'île d'Yeu, cochonaille certes, mais d'iberico, etc.).

Alors peut on se plaindre, pincer du nez, jouer les insatisfaits, quand en plus les prix sont contrôlés? Non, vraiment,
notre Glou est joli, bien pensé, parfaitement conçu, à l'image de ses clients, trentenaires et quarantenaires propres sur eux et décontractés, jouisseurs modernes.

Et pourtant, un léger tiraillement demeure, là, au fond, dans un coin, une fois sortis. Un doute comme cette planche de charcuterie, bonne certes, mais pas totalement à la hauteur de ce que les appelations d'origine laissaient espérer. Comme cette souris d'agneau sèche par endroits, comme une daurade à l'orientale sur boulgour correcte mais sans plus. Et si cette bonne adresse, ce vrai bon plan astucieux n'était qu'un rêve? Une maison de magazine, un décor de télévision, un show room de designer? Si les clients n'étaient que des acteurs? Et le marais si propret un musée?

Et si je m'enquillais un jambon beurre dans un bar à Gentilly, tartiné violemment par un serveur revêche aux doigts salis, en regardant défiler les chiffres du Rapido à l'écran, les pieds dans les miettes de pain et les sachets de sucre vidés?

Addition: 40€ par personne (plat 20-25€ environ)

Glou
101, rue Vieille du Temple
Paris 3ème
01 42 74 44 32

samedi 20 juin 2009

Bistrot Paul Bert: Une réputation méritée (par Ollivier)

Déjà se garer. La rue Paul Bert, proche de Bastille et de l’hôpital Saint-Antoine, zone densément peuplée, ne fournit pas assez de places de Vélib. C’est ce qui gâcha le début où nous attendîmes affamés presque 45 minutes notre dernier convive avant de passer commande. Le deuxième service de 21h30 est un peu plus tranquille que le premier, mais peut révéler quelques déceptions.

Nous étions sept, dont deux new-yorkais (la moitié de la salle était américaine, sans doute un effet Zaggat ou Lonely planet), un suisse, deux habitués et deux novices. L’endroit est beau, c’est un vrai bistrot. La taille et l’espacement des tables est limite mais j’ai vu bien pire. à Paris. Le menu est simple et compréhensible pour tous, entrée plat, plat dessert ou la totale. Nous optâmes pour la totale après un débat hypocrite de 2 minutes (bientôt juillet, suis-je raisonnable ? bon si tu prends aussi une entrée…). L’avantage ici du deuxième service est qu’en bon gourmand je lorgne sur l’ensemble des assiettes des tables voisines : toute la carte est répartie dans la pièce et fait envie.

En entrée, des asperges magnifiques, sauce hollandaise très moutardée. Impeccable, al dente, copieux, qualité du pain de campagne participant au plat. Démarrage du repas réussi, où malgré l’état affamé des troupes (il devait être 22h30) nous pûmes déguster, pas trop grossièrement. L’appétit parfois supplante toute sensation réfléchie.

Autour de moi : un pâté en croûte qui me faisait presque regretter mon entrée, tant il était énorme et croustillant, et des carpaccios de je ne sais quoi.

Le plat, une déception pour moi : une souris d’agneau en cocotte pas assez cuite, malgré une qualité de viande exceptionnelle. C’est le défaut du deuxième service où certains plats à cuisson longue sont relancés, mais le timing n’était pas le bon. Il eut mieux valu me faire choisir un autre plat. Le poulet aux morilles des américains (spécialité de la maison) a déclenché une cascade de « oh my god » avec moults effets d’éventail.

Enfin le dessert, pour moi un macaron géant aux fraises gariguettes : vraiment géant, vraiment délicieux, le goût des fraises exacerbé, une crème aux fraises, un macaron qui avait eu le temps de reposer au moins 24 heures, le tout atteignant un équilibre parfait de sucre et de fruit. Un grand dessert. Mes amis n’en revenaient toujours pas de leur panacotta (un des desserts les plus bêtes au monde puisque ce n’est que de la crème fraîche liquide qui cuit 10 minutes avec de la vanille et du sucre et de la gélatine à la fin ; c’est plus de la cuisine que de la pâtisserie).

Le vin non souffré bio était aussi original qu’excellent, à prix modéré, servi avec malice.

Addition: 50€ par personne (menu entrée plat dessert à 38 euros; prix des vins raisonnable, 25 euros pour une bonne bouteille)

Bistrot Paul Bert
18, rue Paul Bert
Paris 11ème
01 43 72 24 01

samedi 13 juin 2009

Samiin: La délicatesse inattendue

Nouveau billet: Malheureusement, Samiin, ca semble fini

Il existe des exotismes présentables, comme la cuisine thai (ah la citronelle, le piment certes, mais si joliment accompagné par des herbes fraîches écrasées, le poisson cuit dans une feuille de bananier, les currys légers, mon riz gluant, mon bungalow sur ma plage de la mer Adamante, le sourire des gens, c'est le petit véhicule qui les rend heureux, n'est ce pas) ou la cuisine japonaise (ah le poisson cru, si digeste, le dépouillement des préparations, les algues, mon Park Hyatt à Tokyo dans Lost in translation, incroyable le mélange de technologie et de tradition, un pays vraiment à part, c'est le zen qui les rend heureux, n'est ce pas).

Avec la cuisine thai ou japonaise, on ne peut se tromper, donc roulons-nous tranquillement dans un bien-être "holistique" de couverture de magazine: goût et saveurs certes, mais aussi voyages, déco, spiritualité en carton, massages -spa-manicure (forfait Wat Pho ou shiatsu?) et frasques people, forcément attablés dans des Nobus ou Blue Elephants londoniens.

Face à de telles vedettes, la cuisine coréenne semble une bien vilaine cousine campagnarde fraîchement débarquée: il est vrai que clamer son amour de l'ail, du piment et du graillon n'est pas très paillettes. Et certains perdront leur décoiffé à tenter d'extraire un "lifestyle" d'une péninsule qui produit frénétiquement écrans plats, frigidaires, téléphones mobiles, petits 4x4 ou super tankers à double coque, avant de nous piquer sa crise nucléaire annuelle comme on part en vacances d'été.

Et pourtant on se trompe lourdement, et Samiin nous le prouve. Loin du clinquant, mais loin aussi de la rude simplicité des cantines familiales coréennes, une incroyable délicatesse imprègne ce restaurant perdu au bout de la calme et très cossue avenue de Breteuil, derrière les Invalides, nous murmurant une amitié sublimée à la terre, à sa fertilité, aux plantes qui poussent là bas, dans ce pays inconnu. Sur le trottoir près de la porte d'entrée, une vaste vasque en céramique contient de jeunes pousses tendres. L'intérieur, tout en teintes beiges, est doucement éclairé par des lampes en papier imitant des grappes de courges. Les murs imitent le torchis, des pousses de blé sont exposées aux murs. Les plats sont servis dans de la poterie toute simple. L'accueil et la cuisine sont à l'avenant: la douceur prédomine, et le charme opère.

Car oui, définitivement, la cuisine coréenne offre un rapport magnifié à la terre et aux cuissons les plus simples: viande à cuire au barbecue, comme pour le bulgogi, ou riz mélangé à des légumes et des oeufs de poisson, terminant sa cuisson dans un bol brûlant, comme pour le bibimbab d'oeufs de poisson. Mais elle est également extrêmement contrastée, et de là naît le plaisir: de délicats rouleaux de poissons crus, des vermicelles de patates douces sautés, une soupe de sésame gris, un tartare de boeuf aux pignons de pins, de fines tranches de poitrines de porc cuites dans des herbes médicinales, refroidies, à rouler dans une feuille de salade avec des légumes crus avant de les tremper dans une sauce piquante, et bien sûr des kimchis, dont la saveur forte, aillée, acide, piquante, équilibre si bien le riz blanc mangé à la cuillère.

Un vrai joli secret entoure cette cuisine et cette adresse. Alors laissons d'autres courir après des mirages. Un jour, il sera peut être tendance d'apprécier l'ail ou les saveurs piquantes. Un jour, un très onéreux restaurant-bar-boite coréen fera peut-être des ravages dans un Londres à nouveau gagné par une bulle financière. Ce jour là, les Samiins cachés s'effaceront certainement, ne laissant qu'une trace de leurs plantes, leurs poteries, et leurs plats.

Addition: 50€ à 60€ par personne (menus à 35€, 40€)

Samiin
74, avenue de Breteuil
Paris 7ème
01 47 34 58 96

samedi 6 juin 2009

La Régalade: Les grands noms se portent bien

Nous sommes allés hier soir à La Régalade. Nouveaux venus dans le monde des restaurants parisiens, nous y sommes allés sur recommandation d’un expert en bons plans gastronomiques, cependant la prononciation du nom éveillait déjà un vague écho familier. Une rapide recherche sur internet a vite confirmé que nous touchions, sans le savoir, à un monstre sacré : La Régalade serait ni plus ni moins que « le » premier bistrot gastronomique, l’unique, le vrai, l’un. C’est l’histoire d’un jeune chef, Yves Camdeborde, partant du Crillon à vingt six ans au début des années 1990 pour aller reprendre un lieu anonyme et y déployer tout son art et sa technique, tremblement de terre donnant un coup de jeune au monde étriqué de la gastronomie parisienne, jusque là coincé entre ses grandes brasseries et ses restaurants étoilés.

C’est la naissance du phénomène bistronome, soit le beurre, l’argent du beurre, la crémière, en ceinture et bretelles : je vais manger de la cuisine étoilée, à base de produits du marché, avec des serveurs décontractés, au coude à coude avec des clients à mon image, vrais malins distingués, car amateurs de bonne chère mais pas guindés, le tout pour un prix accessible. Que demander de plus ? Bien sûr, comme le décoiffé se travaille minutieusement devant son miroir, la bonne franquette des origines a parfois généré chez les successeurs et les suiveurs des manifestations moins plaisantes: service stressant ou désinvolte, entassement des clients, suppléments élevés demandés dès que l’ombre d’un produit noble plane sur un plat. Bien sûr, Yves Camdeborde a vendu La Régalade et s’en est allé reprendre le Comptoir à Odéon. Que reste t’il alors de ce grand nom ?

Notre Régalade d’hier soir se trouvait difficilement, complétement perdue au fond d’une rue anonyme, étroite mais embouteillée, à une encablure des maréchaux, entre les portes d’Orléans de Châtillon. Un joli petit lieu sans prétention, mais chaleureux, ouvrant sur un zinc derrière lequel le chef servait des apéritifs. Des tables serrées, des boiseries et des murs jaunes, bien sûr. Quelques tableaux égayaient l’ensemble. Et le charme bistrotier a fonctionné, car l’accueil était adorable : des grands sourires nous accompagnent jusqu’à notre table, pourtant coincée contre celle de nos voisins. Le charme a fonctionné, car les serviettes épaisses étaient douces au toucher, car en guise de délicate mise en bouche, une terrine de campagne maison avec de grosses tranches de pain et un pot de cornichons se partageait entre les tables. Le charme a fonctionné, car en dépit d’une affluence impressionnante (salle comble au premier service, comble au deuxième à 21h30, et des habitués attendant pour un troisième service), nous n’avons à aucun moment été pressés. Car les clients attendant leur table ne s’impatientaient pas, jouissant tranquillement du moment offert pour prendre l’apéritif au bar avec le patron. Car la cuisine était excellente, tendance saveurs fortes: beaucoup d’herbes fraîches, du gros sel craquant. Un pressé de cuisses de canard aux foie gras et de superbes asperges blanches à la vinaigrettes d’herbes, parfaitement charnues et cuites, en entrée, puis des filets de dorade rôtis au fenouil, jus de viande aux olives, et un suprême de volaille doré sur la peau, au foie gras et au persil, avec ses pois et une purée à la moutarde à l’ancienne. Pour finir, un reblochon bien affiné et un clafoutis aux cerises et mirabelles. Le tout accompagné d’un puissant coteaux du Languedoc.

La Régalade se porte comme un charme. Nous souhaitons le meilleur à ses nombreux disciples, successeurs, imitateurs, car le plus dur est devant eux : arriver, autour d’une bonne cuisine, à cultiver cet accueil et cette générosité.

Addition : 50€ par personne (menu à 32€)

La Régalade
49, avenue Jean Moulin
Paris 14ème
01 45 45 68 58

samedi 30 mai 2009

L'Ecailler du Bistrot: Le bistrot et la mer

Il y a des soirs où vient l'envie de la mer, mais sans la force de supporter les magnifiques salles arts déco bruyantes et touristiques des brasseries du groupe Flo, et sans appétit particulier pour une grande sortie dans l'opulence confortable d'un bon restaurant de poissons: non, on rêvasse d'iode simple, comme on avale debout une demi douzaine d'huîtres servies sur leur assiette en carton dans un port. Pour ces soirs là, l'écailler du bistrot est la solution idéale: la version marine du bistrot Paul Bert est posée là, en voisin immédiat, dans la rue du même nom.

Tout y est agréable est maîtrisé: des jolies petites salles se suivent, carrelage au sol, tables en bois poli alignées, murs jaunes, vitrine à l'ancienne donnant sur une rue calme: les codes indispensables du bistrot sont bien au rendez vous, une petite touche de confort et de calme en plus. Serait-ce l'effet lénifiant d'une carte proposant uniquement des produits la mer? La salle, clients comme serveurs, semble assagie, plus détendue que dans les bistrots habituels, sans doute privée du coup de fouet de planches de cochonnailles, de l'excitation de fillettes de rouge vite descendues dans la fièvre de la conversation, ou de la montée d'adrénaline d'une côte de boeuf à partager.

Cette ambiance nous convient parfaitement à l'heure de découvrir la carte: un grand choix d'huîtres, notamment de belons, et la possibilité de s'offrir un plateau de fruits de mer. En dehors, une liste restreinte d'entrées et de plats, présentée sur un tableau noir comme il se doit, dont la simplicité va droit au coeur. Nous avons finalement opté pour six belons numéro 4, posés sur leur assiette d'algues, sans être glacés, et un tourteau farci gratiné au four en entrée, puis pour un demi homard sauce au kari gosse et ses frites maison, et une sole meunière purée: de beaux produits, bien traités, dans une tradition résolument atlantiste. C'est finalement notre seul petit regret: après trois ans en Espagne il nous est impossible, en contemplant des sauces à base de crème et les cuissons au beurre, de ne pas soupirer discrètement pour un filet d'huile d'olive sur une cuisson plancha...

Caprice d'enfant gâté mis à part, cet écailler du bistrot est une vraie jolie adresse dont nous gardons la carte avec plaisir, pour vite la faire partager à un son cercle d'amis proches, et amateurs: on n'a pas tous les jours la chance de s'offrir un bol d'air marin, l'espace de quelques heures, à Paris.

Addition: entre 50€ et 60€ par personne.

L'Ecailler du Bistrot
22, rue Paul Bert
Paris 11ème
01 43 72 76 77

vendredi 22 mai 2009

Da Mimmo: Naples en un coup de menton

Il existe des restaurants où l'on se sent accueilli par une maîtresse de maison. Je me souviens d'un mas provençal, dont l'intérieur était rempli de petites touches d'attention enveloppantes: des jeunes pousses de blé mises dans un pot sur chaque table, pour fêter la nouvelle année, un feu crépitant dans une vieille cheminée, des couverts, des serviettes, des verres en harmonie de beiges et blancs. On sentait immédiatement qu'un esprit maternel arrangeait et pensait la salle, prenant par la main les clients ravis, traités comme des vieux amis de passage, s'abandonnant aux plaisirs d'une soirée bercée de bons plats et vins.

Rien de tel chez Da Mimmo. Dans cette trattoria napolitaine, l'esprit est résolument masculin. La devanture très anonyme donne directement sur les embouteillages du boulevard Magenta. Dans sa salle carrée, des tables alignées au cordeau, des nappes à carreaux rouges et blancs, du verre catégorie incassable, des solides couverts en inox de cantine. Aucun effort de décoration autre qu'un service minimum pour vaguement italianiser l'intérieur: Fernandel en noir et blanc se goinfrant de pâtes, quelques cadres de type Actor's studio sur des murs vaguement repeints en jaune. L'accueil est viril: on reçoit torse bombé, regard clair. Un bonjour, un coup de menton pour indiquer que la réservation est bien prise en compte, puis direction la table.

La trattoria a du succès - ce samedi soir là, toutes les tables étaient prises par une clientèle animée, bruyante, en partie italienne, en grande majorité du quartier. Les deux serveurs assurent. La cinquantaine burinée, ils tracent lentement leur route à travers les tables, indifférents aux regards fixes et insistants de certains clients demandant, main levée depuis cinq bonne minutes, qui une carafe d'eau, qui un menu. Il y a des priorités dans la vie, non mais: par exemple, saluer un habitué d'une accolade et d'une claque sonore sur l'épaule, et prendre de ses nouvelles.

Une fois obtenue, la carte est relativement courte, avec une offre très classique de pizzas et de pâtes, et ne s'embarasse pas de descriptions fleuries, c'est mieux comme ca. Les propositions hors de la carte, crayonnées sur un tableau noir sont alléchantes: bar grillé, pâtes aux langoustines, à la truffe noire... Notre oeil s'attarde également sur le bar à antipasti trônant au milieu de la pièce, d'une variété rare.

La cuisine est vraiment à la hauteur de l'esprit du lieu : forte, colorée, avec d'excellents produits de base. Une assiette d'antipasti allant largement au delà des sempiternels artichauds, tomates séchées et aubergines. Des spaghettis à l'amatriciana avec de la vraie poitrine de porc grillée, des tomates fraiches et des tomates en conserve. Un risotto aux cèpes et grandes langoustines magnifique de texture onctueuse et de profondeur de goût. Le tout servi dans des portions proprement gargantuesques: nous avons dû nous avouer vaincus, et, le souffle court, demander l'addition devant des assiettes non finies, sans passer par les desserts. Serait-ce le signe secret d'une nécessaire reddition, les virilités devant s'étalonner et les locaux l'emporter? En nous raccompagnant vers la sortie, le visage du serveur s'est soudain éclairé: un sourire franc, une poignée de main d'acier: nous avons le droit de revenir chez Da Mimmo, et nous y reviendrons.

Et la prochaine fois, je finirai entrée, plat et dessert.

Addition: de 40€ à 50€ par personne (partager une assiette d'antipasti, puis pâtes entre 20€ et 35€)

Da Mimmo
39, boulevard de Magenta
Paris 10ème
01 42 06 44 47

jeudi 21 mai 2009

El Pescador: Notre ami le Pêcheur

Tout le monde n’a pas la chance de naître avec le goût du poisson bien en bouche. Petit, les premières impressions tiraient franchement vers le négatif : quelques poissons blancs cuits au micro-onde, un soir de semaine, à avaler sous la contrainte maternelle. De temps en temps, du poisson pané, imposteur masqué sous ses croûtes frites, à noyer impérativement dans la mayonnaise. Par la suite, la cantine n’améliorait vraiment pas les choses : nous avons tous redouté le vendredi et ses pavés de poissons mous surcuits, aux bords oxydés par ressac d’un jus fade et amer. Enfin, les années étudiantes, contraintes pécuniairement, ne poussaient pas à la consommation de produits de la mer, l’objectif étant plutôt d’avaler vite un sandwich ou une crèpe complète avant de filer dans un pub ou en soirée.

Et puis, sont venues nos années à Madrid. Une découverte, un moment magique, marquant un avant et un après. Pratiquants réguliers du Pescador en trois ans de séjour, nous en sommes sortis convertis et prosélytes.

Nous sommes rue Ortega y Gasset, dans la partie calme du très bourgeois quartier de Salamanca : de vastes trottoirs ombragés, des immeubles opulents. En hiver, les couples quincagénaires marchent dignement, engoncés dans des lodens verts et des manteaux de fourrure. Les chiens y sont promenés en laisse par des chicas équatoriennes. Les restaurants offrent systématiquement un service de voiturier, et notre Pescador ne déroge pas à la règle. Il faut dire que c’est une vieille institution : une devanture discrète, en bois sombre, ne laisse rien deviner de l’intérieur. Une fois entré, l’œil s’attarde à peine sur la grande salle marine rustique, un rien vieillotte, avec ses nappes à carreaux blancs et bleus et ses chaises en bois épais : il est immédiatement attiré par l’étal réfrigéré, où sont alignés de magnifiques produits de la mer.

Le Pescador appartient à une famille de poissonniers de La Corogne, et cette filiation est évidente quand on regarde la carte, strictement atlantiste : homards, langoustes, langoustines, crevettes, pouce-pieds, tourteaux et araignées sont proposés en entrée, ainsi que le meilleur « salpicon de marisco » (salade de fruits de mer) que nous ayons goûté à Madrid. Puis viennent les poissons : sole, bar, turbot, daurade, lotte, mérou, cabillaud, merluche… Cette approche puriste touche au fanatisme dans les préparations : les portions seront servies telles quelles, cuites à la plancha ou au four. Au pire, on se permettra l’ajout d’un « sofrito de ajo » (ail et huile d’olive) ou d’une sauce verte. La carte précise fièrement que les poissons sont servis sans accompagnement, ni citron pour ne pas gâcher le goût du produit. Et il est vrai que rien ne fera dévier le Pescador de l’essentiel : mettre en valeur les meilleurs chairs en atteignant le point de cuisson parfait. Griller en préservant la tendresse et le jus. En bref, assurer notre bonheur.

De retour en France, où si souvent on se plaît à lever les filets des poissons, à garnir les assiettes de montages sophistiqués, à napper le tout d’une sauce crémeuse, on se prend certains soirs à fermer les yeux, et à rêver. D’un soir de novembre frais et pluvieux à Madrid, quand les perturbations venues de Galice envahissent toute l’Espagne. D’un salpicon de marisco à l’huile d’olive parfumée, d’un homard plancha à partager en entrée, avant d’attaquer sole et turbot. Des verres de blanc des Rias Baixas. D’une simplicité et d’une force des saveurs que nous n’avons pas encore retrouvées. Mais rien n’interdit de continuer à chercher, et d’espérer. Quoiqu’il arrive, notre ami le Pêcheur nous attendra toujours là bas, quand nous reviendrons finalement, fatigués et bredouilles.

Prix: Environ 80€ par personne

El Pescador
Calle José Ortega y Gasset, 75
Madrid
901 402 12 90

dimanche 17 mai 2009

Bizan: Le temps du Kaiseki II

Nous sommes allés chez Bizan il y a quelques mois, sans avoir eu le temps d’écrire sur cette excellente adresse. En laissant filer le temps, les souvenirs précis des plats deviennent flous, mais les impressions s’affinent, s’inscrivant en creux de Hanawa, cet autre restaurant japonais gastronomique où nous sommes par contre souvent retournés.

Bizan est situé en plein cœur de l’action, rue Saint-Anne, au milieu des ramen-ya et udon-ya du quartier. Autant Hanawa, bien sis dans un vaste immeuble moderne du VIIIème arrondissement, ouvre ses grands espaces et ses nombreuses salles au client avec opulence, autant Bizan, engoncé dans un de ces petits immeubles tordus pré-haussmaniens des rues du vieux Paris, est absolument intimiste et vertical : une entrée donnant sur un joli bar à sushis au rez de chaussée, un escalier grimpant vers une petite salle à l’étage, descendant vers des toilettes au sous-sol, et c’est tout. Les murs sont couverts de panneaux de bois clair absorbant les sons, coupant le restaurant du bruit de la rue, et de Paris... Chez Bizan, on entre en apnée dans un monde ouaté, les serveuses marchent à petit pas, les couples attablés chuchotent, le calme est d’or…L’arôme délicat du dashi flotte dans l’air.

Restent quelques vagues souvenirs d’une cuisine extrêmement raffinée, née d’une carte assez courte, mais complète : entrées de légumes variés pleines de fragrance, tempuras légères, laissant le légume croquant à l’intérieur, et si le poisson cuit en sauce à base de miso blanc a laissé des souvenirs contrastés (j’ai personellement adoré, d’autres moins…), l’assortiment de sashimis, d’une onctuosité et d’un goût inégalés (et sensiblement supérieurs à ceux de Hanawa…), nous donne toute licence pour une seconde visite.

D’avance, j’imagine avec délectation un retour à deux, dans ce joli comptoir tout simple du rez de chaussée, quelques bières glacées accompagnées d’edamame, avant, enfin, de laisser entièrement le chef décider : des sashimis en premier posés sur un lit de navet rapé, pour s’échauffer, pour préparer nos palais, puis des sushis, par paires, savourés lentement: agrémentera t’il le chinchard d’une pointe de ciboulette et de gingembre finement haché? aura-t-on de la daurade ou du bar? la chance du soir nous permettra t’elle de déguster du thon gras? et les seiches et leur feuille de shiso, si fraîche et légèrement amère? Le temps est passé, a élagué le superflu : oui, c’est clair et décidé, Bizan, mérite définitivement une seconde visite.

Addition : environ 80€ par personne

Bizan
56, rue Saint Anne,
Paris 2ème
01 42 96 67 76
http://isse-et-cie.fr/bizan/

vendredi 1 mai 2009

L'Ami Jean: La mauvaise éducation

L’Ami Jean semble s’être fait une belle petite place au soleil dans la jungle des bistrots gourmands de la capitale : systématiquement dans les listes de bonnes adresses, au coude à coude avec des valeurs sûres comme chez Michel ou le bistrot Paul Bert, caressé de critiques élogieuses sur des sites français comme étrangers, notre Ami fait en outre salle ultra-comble, comme en témoignent deux tentatives infructueuses pour y réserver une table : une première, un peu naïve, du mercredi pour un vendredi, abruptement coupée, la deuxième, formulée cinq jours à l’avance, pour un mardi soir, ne connaissant pas meilleur sort. Il a fallu toute la ténacité d’un troisième essai, avec une semaine et demi d’anticipation, pour obtenir le sésame d’une réservation, une voix stressée nous annonçant toutefois qu’il faudrait confirmer le matin même sa place au risque de la perdre.

Nous étions donc très curieux, et tous sens en alerte, en nous approchant du lieu tant convoité, dans une rue tranquille du VIIème arrondissement. La porte poussée avec appréhension révélait une salle vieillotte, loin du charme minutieusement pseudo-rétro de certains bistrots parisiens. Chez l’Ami Jean, on est carré : l’étude du faux décontracté laisse place à l’abandon brutal, au désintérêt absolu pour les apparences. Par contre, on ne perd pas le nord et on ne met pas de faux nez à l’heure d’utiliser l’espace : pas un centimètre carré qui ne soit occupé par d’étroites tables de bois brut, collées en rang les unes aux autres, au point où les rainures entre les tables servent de reposoir pour corbeilles à pain.

Nous n’avions pas fait deux pas qu’un serveur cavalait pour s’interposer, vérifiait notre réservation, biffait rageusement notre nom sur le cahier froissé, et nous poussait vers une table, nous intimait de nous asseoir, plaquait sur le bois dans un même mouvement brusque deux cartes, une corbeille à pain, une petite mise en bouche, avant de repartir en courant. Au moment où nos coudes touchaient ceux de nos voisins, et la promiscuité forçait à de petites salutations gênées, un moment de réflexion s’imposait : que vaut le fond sans la forme ? Pourquoi va-t-on au restaurant ?

Ces tourments philosophiques inhabituels n’ont fait que grandir au cours du repas. Pourquoi un menu carte totalement amateur, tapé chez soi en Times new roman 14, imprimé sur sa petite jet d’encre personnelle, puis glissé dans de vilains cahiers en plastique achetés chez Gibert Jeune ? Pourquoi ces courses effrenées des serveurs, hurlant par-dessus les rangées de convives apeurés pour se transmettre demande de vin, d’addition, rab de pain, revenant trois fois à la charge en une minute pour forcer le client à choisir ? Le contraste avec ce qui sort de la cuisine donne le vertige : des assiettes blanches, trop grandes pour les tables, montées délicatement, décorés de fines lames de bacon. De la tête de veau tiède et croustillante en vinaigrette. Une salade d’asperges croquantes et de chipirons. Un filet de canard grillé sur la peau, de la raie beurre demi-sel au four. Un gaspacho d’ananas, une glace et crème à l’Orange accompagnée de son financier. En bref, de superbes plats, traités tout en finesse.

Et puis nous avons cru comprendre. Comment une cuisine si recherchée peut patauger dans cette ambiance de deuxième service de cantine scolaire. Chez l’Ami Jean, on s’aime surtout soi-même. Dans mes assiettes, miroirs de vanité gastronomique, je mets la passion des beaux ingrédients du sud-ouest, l’amour de la cuisine bien faite. Aux clients, je réserve la rotation effrénée du service (bien malin celui qui arrivera à rester plus d’une heure accroché à sa table), la désinvolture, le mauvais stress exhalé par mon petit chef de salle.

Ceux qui ne vont au restaurant que pour accomplir une performance gustative ne seront pas déçus, impressionnés par les références du chef, disciple de Camdeborde. Les masochistes, amateurs de carrés VIP, pour qui difficulté de réservation et service abrupt sont des marqueurs de rareté, donc de plaisir, seront comblés. Les autres, simples amateurs de bons moments, ayant la faiblesse de penser qu’on doit quand même se sentir accueilli, pourront hélas passer leur tour.

Addition : 50€ par personne en prenant le menu (32€), 70€ par personne à la carte.

Chez l’Ami Jean
27, rue Malard
Paris VIIème
01 47 05 86 89
www.amijean.eu/

lundi 20 avril 2009

A l'est, l'eden

Yangminshan, au nord de Taipei. Il est midi passé. Les nuages caressent la cime des montagnes couvertes d’une végétation luxuriante puis descendent sur nous, par légères nappes de brouillard humide. La vallée est couverte de champs d’arums en fleurs. On vient de loin pour, passée la tonnelle, entrer dans une petite salle donnant sur un étang, s’attabler et déguster des légumes de montagnes: pousses de bambous fraîches, soupe de nouilles, légumes verts branchés inconnus, cassolette d’une sorte de céleri amer aux œufs de canard salés.

Retour en ville. Au sous sol du grand magasin Sogo, la queue s’allonge pour déguster des « xiaolongpao », les ravioles vapeurs originaires de Shanghai. Le début d’une bouchée suffit pour comprendre : le jus, concentrant toutes les saveurs de la farce, éclate, brûlant, dans le palais.

Il est à peine 19 heures. Le soir tombe, l’air est doux et légèrement moite, les néons brillent. Au fond d’un hall plaqué de marbre, un mur d’aquariums où tournent de grands crustacés et des poissons difformes. Une jeune fille en uniforme crie des mots de bienvenue d’une voie nasillarde avant de nous pousser à l’étage, où nous attend une salle moderne, toute en grandes tables rondes, pleine à craquer. Les éclats de voix et le brouhaha empêchent toute conversation. On nous sert vite du thé, des serviettes fraîches. Des bouteilles de bières glacées sont vidées dans de petits verres puis rangées dans un casier sous la table. Puis les plats arrivent : poitrine de porc grasse braisée dans une sauce soja épaisse, crabe frit, épaisses tranches de tofu sautées, liserons d’eau et asperges passés rapidement au wok, aubergines bleues au piment, tranches d’œufs de poisson séchés à déguster avec des rondelles de poireaux et navets crus

Dehors, sous les arcades embouteillées d’innombrables rangées de scootersmal garés, à la lueur crue des Seven Eleven, les tenanciers de « xiaochi », de snacks de rue, halpaguent le flot des passants : ici un étal pour composer le « biandang », la boîte-déjeuner où l’on choisit sur une base de riz légumes salés, chou chinois, œufs au thé, tronçons de poisson frits, cotelettes de porc marinées et grillées, cuisses de poulet à la sauce soja, là une boutique de soupe de nouilles au ragoût de bœuf, ailleurs, dans des volutes de vapeur, des raviolis pékinois, ou des soupes noires reconstituantes à base d’herbes médicinales, un peu plus loin des soupes de riz aux œufs de cent ans.

Partout, des saveurs puissantes et contrastées font soudain passer les plats des restaurants du XIIIème pour de fades calques inachevés. Un retour aux sources s’impose de temps en temps pour retrouver les goûts, les sourires et les couleurs de l’authentique cuisine chinoise.

Addition : 10€ par personne maximum dans les restaurants de montagne et les xiaochi. 15€ par personne chez Ding Tai Fung. 20 à 25€ par personne pour un repas complet chez Shin Yeh.

Ding Tai Fung (raviolis de Shanghai)
Sogo Fuxing department store,
300, Zhongxiao East Road, Section 3, Taipei
www.dintaifung.com.tw

Shin Yeh (cuisine taiwanaise)
34-1, Shuang Cheng Street, Taipei
www.shinyeh.com.tw

Ebisu: L’axe sino-japonais

Hors des chinatowns parisiens, l’écrasante majorité des restaurants chinois en France sont de bien piètres héritiers de leurs glorieux ançêtres. Certes, ils souffrent du manque d’ingrédients locaux de qualité, mais également de l’absence absolue de compétence culinaire de leurs propriétaires, commerçants, ouvriers, paysans ou professeurs avant d’émigrer, rarement restaurateurs ou cuisiniers. Le dernier coup fatal leur est porté par l’ignorance d’un grand public satisfait d’arroser son riz de sauce soja bas de gamme et rassasié de bœuf aux oignons.

Conséquence: le croisement entre tradition chinoise et terre d’accueil française a engendré une cuisine paresseuse, d’inspiration vaguement cantonaise, fardée de quelques ajouts vietnamiens (nems, porc au caramel, poulet sauce citron) et hérissée d’authentiques horreurs évidemment inconnues dans leur pays d’origine, comme le chop suey, véritable poubelle légumière recyclée en plat par la magie d’un coup de wok, ou le digestif offert par la maison, fond d’alcool de riz de cuisine sentant le déboucheur d’évier.

Ainsi vivote le Chinois de quartier, toutes ambitions culinaires soldées, masquant par des voilages salis le vide de sa salle, engagé dans un pugilat sordide avec les pizzerias voisines pour accueillir quelques familles prises de flemme un dimanche soir pluvieux.

Dans pareil panorama, la quête d’une cuisine chinoise raffinée s’annonce difficile, et notre dernier coup de cœur a été à notre grande surprise pour un restaurant… japonais.

Ebisu adosse ses deux petites salles simples, décorées de reproductions de rouleaux peintures de cour, aux contreforts de l’église Saint Roch. Les tables sont quasi toutes occupées par des Japonais, plus même que dans les ramen-ya de la rue Saint Anne toute proche. Le service, tout en attention et discrétion, est également assuré par des japonaises. Mais la cuisine?

Méfiants au premier abord, nous avons vite été conquis par l’exécution parfaitement maîtrisée des plats, la fraîcheur des produits, les ingrédients d’une qualité nettement supérieure à la moyenne, et l’absence de graisse ou de sauces lourdes. La cuisson vapeur est à l’honneur, comme dans le poulet cuit au vin de riz, les couteaux ou le bar à la ciboulette. Le poulet frit au gingembre y est excellent et, fait rarissime, ne baigne pas dans l’huile. Les gyozas sont parfaitement cuits, avec une farce savoureuse, ayant atteint le juste équilibre entre viande et légumes. On trouve dans la carte des plats rares comme des liserons d’eau sautés ou du mapo tofu (plat épicé de fromage de soja et viande hachée).

Bien sûr on pourra toujours faire la moue: l’éclectisme de la carte, échantillon sans logique de toutes les cuisines régionales chinoises, les plats un peu trop systématiquement parfumés au mélange sauce soja-gingembre-ail témoignent d’une réinterprétation et non d’une cuisine authentique. Mais ne nous trompons pas de combat : la chuuka ryori, ou cuisine chinoise du Japon, développée dès le XIXème siècle, a déjà ses lettres de noblesse, et entre cette vision certes assagie, mais savoureuse et épurée, et les louchées de graillon et aigre-doux au glutamate qu’on nous sert habituellement, nous avons choisi notre camp.

Addition : 40€ par personne (plats entre 10 et 20€)

Ebisu
19, rue Saint Roch, Paris 1er
01 42 61 05 90

dimanche 5 avril 2009

Le Pacifique: Le prince de Belleville

A peine née de la rue du Faubourg du Temple, la rue de Belleville grimpe doucement vers Pyrénées au milieu d’un amoncellement de cageots, de camions de livraison, d’étals de de supérettes asiatiques, d’employés poussant des diables surchargés, et, bien sûr, d’un alignement de cantines et restaurants chinois encerclant d’ultimes cahutes à kebabs, sous le regard de badauds goguenards affalés en terrasse devant le Folies.
Le soir tombe, l’air du printemps est doux, c’est l’heure de manger dans ce chinatown plus confidentiel et moins touristique que son grand frère du XIIIème arrondissement.

Mais l’hésitation gagne à l’heure de faire un choix. La vue se brouille, noyée par la multiplication d’idéogrammes en néons, les enseignes affichant des combinaisons aléatoires de murailles, de phénix, de jades et de mandarins, les vitrines embuées donnant sur des intérieurs identiques, fruits du déstockage d’un grossiste d’Ivry qu’on devine tout puissant, couvrant les tables des mêmes nappes en papier, plaçant dessus les mêmes carafons collants de sauce soja et pots aux bords brunis de sauce pimentée solidifiée, distribuant les mêmes porte menus en imitation cuir, et, semble t’il pour un esprit soudain rongé par le doute, refourguant certainement les mêmes plats, nés dans la cuisine crasseuse d’un appartement-raviolis, survivants tant bien que mal aux séances successives de réchauffage et recongélation, jusqu’à trouver repos final dans l’estomac du premier visiteur venu.

Pour nous, ce choix est fait depuis longtemps. Le Pacifique, installé confortablement à l’angle avec la rue Rampal, est un des vaisseux amiraux du quartier. Certes, la décoration commence à dater, à l’image d’un aquarium aux eaux troubles où tournent quelques poissons aux couleurs fanées, ou d’improbables prix encadrés aux murs, baguettes d’or poussiéreuses datant du siècle dernier. Mais les salles spacieuces, dont une largement ouverte sur la rue, abritent de nombreuses tables rondes pour huit ou dix convives, gage d’authenticité rassurant à l’heure de se réunir pour un véritable banquet chinois, où tous les plats sont posés au centre de la table et partagés, comme il se doit.

La carte propose essentiellement de la cuisine cantonaise « de rue » : de la rôtisserie, surtout le canard laqué pipa, moins gras que le canard laqué habituel, des plats cuits rapidement et au naturel, comme le poulet mariné au sel et cuit à la vapeur, ou les crevettes au sel et poivre, des feuilles de brocolis sautées (à demander hors de la carte) dont la légère amertume se marie bien avec le gras de la rôtisserie. Certains dim sum sont une rareté à Paris, comme les travers de porc sauce haricots noirs, la pâte de radis frite, et surtout d’excellents raviolis à la ciboule chinoise.

Alors, oui, le puriste pestera contre le sacrilège de proposer des vapeurs le soir, lui qui a eu le privilège de savourer un vrai Yum Cha (thé accompagné de dims sums) à Hong Kong. Oui les serveurs sillonnent les tables au pas de course, les cuisiniers débitent canards et travers de porc à grands coups de hachoir, les paniers en bambous remplis de raviolis sortent en cadence infernale, oui, en effet, les crevettes tigres sont des produits congelés, mais les saveurs de ces plats simples sont vraies, tout comme la joie de se retrouver, entre nombreux amis, le goût âpre du rosé de Provence bien en bouche, un soir de printemps dans Belleville.

Addition : 30€ maximum par personne (plats entre 8€ et 15€, pour six personnes, commander quatre ou cinq dims sums puis six à sept plats à partager)

Le Pacifique
35, rue de Belleville
Paris 19ème
01 42 49 66 80

samedi 28 mars 2009

Hanawa: Le temps du Kaiseki

Est-ce la marque d’une recherche minutieuse de l’excellence ? Très souvent, la cuisine japonaise se caractérise par sa spécialisation. Il existe un local pour manger des udons, ces nouilles épaisses japonaises, et un autre pour les ramen, ces grands bols de nouilles de blé d’origine chinoise. Un bar pour déguster sushis et sashimis et un autre, bien plus tard dans la nuit et bien plus braillard, pour grignoter quelques yakitori (brochettes grillées) accompagnées d’une bière glacée. Un restaurant chic pour un repas autour de l’anguille grillée, et un autre non moins somptuaire pour un dîner de tempura. La viande de bœuf se déguste cérémonieusement en shabu shabu (en fondue) dans un environnement luxueux, ou ailleurs, dans une ambiance décontractée, en yakiniku (grillée sur une plaque).

Rare exception à ce principe, la kaiseki-ryori (haute cuisine japonaise), servie dans la chambre d’une auberge traditionnelle, offre à ses amateurs, par la grâce d’un menu fixé par le chef, toute une collection de plats régionaux et saisonniers. Le degré de raffinement varie selon les auberges : de l’ambiance décontractée sur le rivage de la mer du Japon à une cérémonie tout en formalisme et sophistication dans le centre historique d’une ville. Mais partout on retrouve cet équilibre de saveurs entre les plats, la beauté des présentations et de la vaisselle, le service attentionné, confidentiel, et un délicat parfum de cuisine qui imprègne l’atmosphère.

Ce parfum et cet esprit du kaiseki, nous l’avons retrouvé, ravis, à Paris.

Hanawa est un restaurant qui d’emblée nous transporte ailleurs. L’entrée spacieuse donnant sur de larges escaliers, ouvrant à droite sur un salon inoccupé, nous sort de la capitale où l’espace est si rare et les tables serrées. La simplicité du décor, quelques grandes poteries, du parquet, de la lumière sur les murs blancs, des tables espacées, renforce le décalage. Enfin, une légère effluve venue des cuisines, celui du dashi, le bouillon d’algue et de poisson, pierre angulaire de la cuisine japonaise, nous fait atterrir au Japon. Sans paravents en papier, sans jardinets zen, et sans estampes.

La carte, extrêmement riche, permet de composer, à sa guise, tous les éléments d’un repas de kaiseki : mise en bouche, sashimi, poisson grillé, poisson braisé, soupes, légumes cuits, tempuras, voire plat de fondue comme le sukiyaki.

En goûtant un petit bol d’épinards cuits dans un bouillon incroyablement parfumé, nous avons immédiatement compris que la maison était sérieuse, et allait réciter ses classiques avec une exigence impitoyable. Chaque séquence, présentée dans de la très belle vaisselle, a été une confirmation : sashimis de thon gras, de bar, de saint jacques irréprochables, incroyables oursins en sauce ponzu, cabillaud mariné au miso et grillé parfait de saveur et de texture, un consommé de pleurottes et fruits de mer et un flan d’œufs d’une fragrance rare, et un excellent sukiyaki (tranches de bœuf grillées rapidement dans un caquelon, dont on termine la cuisson en ajoutant une sauce soja et des légumes). Pour finir, comme il se doit, nous avons savouré la simplicité d’un vrai gohan (le bol de riz blanc japonais), accompagné de sa soupe miso et de légumes salés.

Il est facile de manger japonais à Paris, de jongler entre bateaux de sushis variés et brochettes de boulettes. Mais retrouver ou découvrir les sensations d’un repas kaiseki est bien plus rare et précieux : une fois entrepris ce voyage, nous ne rêvons, nostalgiques, que de nouveaux départs.

Addition : 80€ minimum par personne (plats entre 15€ et 25€, compter six à sept plats pour deux personnes)

Hanawa
26, rue Bayard
Paris 8ème
01 56 62 70 70
http://www.kinugawa-hanawa.com/

samedi 21 mars 2009

Le Troquet: Vainqueur de la mode

Le bistrot parisien est une bête curieuse : il a généralement rejeté ses origines de débit d’alcool centré autour du comptoir et de ses habitués, où le patron servait « aussi » un plat du jour et des assiettes de charcuterie pour accompagner le pinard, et se centre désormais sur une promesse de bons petits plats gourmands, offerts aux clients en toute décontraction, par la grâce, si possible, d’un adjoint d’un chef d’une grande maison ayant repris sa liberté.

Certains tics y sont obligatoires, dont, notamment, les tables en bois collées les unes aux autres, et bien sûr, les fameux emplacements pour bizuths ou touristes trop naifs : la spéciale dame pipi en face des toilettes, l’auxiliaire de caisse le long du comptoir, le goûteur près la cuisine pour profiter du tintamarre des couverts à trier et des hurlements du chef, et le portier, collé à la porte d’entrée, faisant écran pratique entre l’air glacé de l’hiver et la salle.

Autres tics : la carte sur une ardoise, trimballée de table en table pour les vrais puristes, les réclames anciennes pour alcool punaisées sur murs jaunis, les objets chinés et retapés (une vieille horloge, un arrêt de bus, des plaques de rues), un vrai vieux zinc remonté, mais aussi l’accueil décontracté, le service un peu pressé, autant de signes subliminaux que ces économies vont profiter au client car l’essentiel est dans l’assiette et cet esprit sans chichis.

Certaines maisons se sortent brillamment de cet irritant exercice de style, et le Troquet, visité hier soir, en fait partie. Pourtant en entrant, un premier coup d’œil dans la salle à moitié occupée par des touristes japonais (il était tôt il est vrai) laissait perplexe. Mais l’amabilité de l’accueil, tout en restant ultra efficace, et surtout la qualité des plats l’ont emporté haut la main sur les préventions initiales:

Une petite planche de saucisson, boudin noir et saucisse piquante prise avec l’apéritif qui sentait bon la charcuterie traditionnelle fermière, onctueuse et forte. Des entrées intéressantes (salade de céleri rémoulade aux ailerons de poulet et tranche de porc grillée, saumon mariné avec guacamole, topinambours et cake aux olives), mais surtout des poissons très réussis : une cocotte de lieu jaune aux palourdes aux herbes, et un dos de merlu au four croustillant sur caviar d’aubergine et poivrons : textures très agréables, points de cuisson juste, alliance de saveurs… En dessert, que du bon traditionnel avec un crumble (en verrine certes) et un fondant au chocolat glace vanille.

En partant, la salle était comble d’un deuxième service d’habitués….

On peut donc être bistrotier, gentiment mode en présentant certaines entrées en alignement de tapas sur ardoise ou des desserts en verrine, être gentiment touristique en permettant à des japonais de profiter de Paris, et faire passer une superbe soirée à tout le monde.

Addition: 50€ par personne (menu entrée-plat-dessert à 32€)

Le Troquet
21, rue François Bonvin
Paris 15ème
01 45 66 89 00

lundi 16 mars 2009

Le Duc: Le vieil aristocrate

Le Duc semble être une référence du poisson à Paris. Un restaurant qui mérite attention. En parcourant quelques sites internets, les descriptifs élogieux abondent : de puissants éditeurs ou hommes politiques y dinent. Son patron y aurait inventé le tartare de saint jacques. Il s’agirait, tout simplement, de la meilleure table de poisson de la capitale, point à la ligne. Ces indices concordaient avec les reminiscences d’un amateur de bonne chère, toujours d’excellent conseil, qui nous avait parlé un jour d’une fameuse adresse marine boulevard Raspail, dont il ne retrouvait plus le nom....

Nous sommes donc allés diner un vendredi soir au Duc.

La carte, par son austérité, nous a rappelé notre marisqueria préférée de Madrid : tartare de poisson tel quel ou fruits de mer en entrée, une dizaine de plats à la carte, ou la possibilité de prendre un poisson entier pour deux, un seul fromage disponible, une assiettée de crevettes grises grillées en guise d’amuse bouche : cette simplicité nous a beaucoup plus. La qualité du poisson (bar cuit en vapeur d’algues, sole meunière) était irréprochable, le service, un peu débordé par moment, restait parfaitement professionnel comme il se doit. Nous sommes donc sortis contents, satisfaits, ayant trouvé ce que nous étions venus chercher, et pourtant, ressentant un petit manque.

Serait-ce la salle, toute en boiseries patinées par le brouhaha des conversations et des années de service empressé? Une sole nappée d’un beurre fondu au goût trop présent pour moi, peu habitué à la cuisson meunière ? La famille bourgeoise du quartier, revêche, faisant un scandale en début de soirée pour que chauffage soit immédiatement éteint ? Serait-ce la majorité de la clientèle, opulents touristes sexagénaires cravatés ou permanentées, dont le dîner ponctuait certainement une journée de shopping place Vendôme ou des retrouvailles entre vieilles relations d’affaires?

Quelque part, un fossé semble s’être creusé entre cette honorable adresse qui a dû briller de mille feux au temps d’un Francois Mitterrand déclinant, et la ville que l’on retrouve dehors, une fois les portes en bois blond refermées.

Addition : 100€ minimum par personne (entrée 25€-30€, plat 45€)

Le Duc
243, boulevard Raspail
Paris 14ème
01 43 20 96 30