vendredi 1 mai 2009

L'Ami Jean: La mauvaise éducation

L’Ami Jean semble s’être fait une belle petite place au soleil dans la jungle des bistrots gourmands de la capitale : systématiquement dans les listes de bonnes adresses, au coude à coude avec des valeurs sûres comme chez Michel ou le bistrot Paul Bert, caressé de critiques élogieuses sur des sites français comme étrangers, notre Ami fait en outre salle ultra-comble, comme en témoignent deux tentatives infructueuses pour y réserver une table : une première, un peu naïve, du mercredi pour un vendredi, abruptement coupée, la deuxième, formulée cinq jours à l’avance, pour un mardi soir, ne connaissant pas meilleur sort. Il a fallu toute la ténacité d’un troisième essai, avec une semaine et demi d’anticipation, pour obtenir le sésame d’une réservation, une voix stressée nous annonçant toutefois qu’il faudrait confirmer le matin même sa place au risque de la perdre.

Nous étions donc très curieux, et tous sens en alerte, en nous approchant du lieu tant convoité, dans une rue tranquille du VIIème arrondissement. La porte poussée avec appréhension révélait une salle vieillotte, loin du charme minutieusement pseudo-rétro de certains bistrots parisiens. Chez l’Ami Jean, on est carré : l’étude du faux décontracté laisse place à l’abandon brutal, au désintérêt absolu pour les apparences. Par contre, on ne perd pas le nord et on ne met pas de faux nez à l’heure d’utiliser l’espace : pas un centimètre carré qui ne soit occupé par d’étroites tables de bois brut, collées en rang les unes aux autres, au point où les rainures entre les tables servent de reposoir pour corbeilles à pain.

Nous n’avions pas fait deux pas qu’un serveur cavalait pour s’interposer, vérifiait notre réservation, biffait rageusement notre nom sur le cahier froissé, et nous poussait vers une table, nous intimait de nous asseoir, plaquait sur le bois dans un même mouvement brusque deux cartes, une corbeille à pain, une petite mise en bouche, avant de repartir en courant. Au moment où nos coudes touchaient ceux de nos voisins, et la promiscuité forçait à de petites salutations gênées, un moment de réflexion s’imposait : que vaut le fond sans la forme ? Pourquoi va-t-on au restaurant ?

Ces tourments philosophiques inhabituels n’ont fait que grandir au cours du repas. Pourquoi un menu carte totalement amateur, tapé chez soi en Times new roman 14, imprimé sur sa petite jet d’encre personnelle, puis glissé dans de vilains cahiers en plastique achetés chez Gibert Jeune ? Pourquoi ces courses effrenées des serveurs, hurlant par-dessus les rangées de convives apeurés pour se transmettre demande de vin, d’addition, rab de pain, revenant trois fois à la charge en une minute pour forcer le client à choisir ? Le contraste avec ce qui sort de la cuisine donne le vertige : des assiettes blanches, trop grandes pour les tables, montées délicatement, décorés de fines lames de bacon. De la tête de veau tiède et croustillante en vinaigrette. Une salade d’asperges croquantes et de chipirons. Un filet de canard grillé sur la peau, de la raie beurre demi-sel au four. Un gaspacho d’ananas, une glace et crème à l’Orange accompagnée de son financier. En bref, de superbes plats, traités tout en finesse.

Et puis nous avons cru comprendre. Comment une cuisine si recherchée peut patauger dans cette ambiance de deuxième service de cantine scolaire. Chez l’Ami Jean, on s’aime surtout soi-même. Dans mes assiettes, miroirs de vanité gastronomique, je mets la passion des beaux ingrédients du sud-ouest, l’amour de la cuisine bien faite. Aux clients, je réserve la rotation effrénée du service (bien malin celui qui arrivera à rester plus d’une heure accroché à sa table), la désinvolture, le mauvais stress exhalé par mon petit chef de salle.

Ceux qui ne vont au restaurant que pour accomplir une performance gustative ne seront pas déçus, impressionnés par les références du chef, disciple de Camdeborde. Les masochistes, amateurs de carrés VIP, pour qui difficulté de réservation et service abrupt sont des marqueurs de rareté, donc de plaisir, seront comblés. Les autres, simples amateurs de bons moments, ayant la faiblesse de penser qu’on doit quand même se sentir accueilli, pourront hélas passer leur tour.

Addition : 50€ par personne en prenant le menu (32€), 70€ par personne à la carte.

Chez l’Ami Jean
27, rue Malard
Paris VIIème
01 47 05 86 89
www.amijean.eu/

2 commentaires:

  1. un bistrot rue st honoré n'a pas hésité à s'appeler "le coude à coude" ! ta description sévère me donne l'impression d'un lieu insupportable. François Simon calcule les décibels, la température, le temps d'attente, le montant par personne. Tu viens de trouver le critère manquant : le m2 par convive
    OL

    RépondreSupprimer
  2. Je ne suis pas contre la promiscuité, mais il y a des limites (cette fameuse distance autour du corps qu'on ne peut franchir...) En outre, elle est plus ou moins supportable en fonction du stress du service.

    Donc pour limiter ces effets, il vaut mieux aller chez Jean en semaine (un lundi?), tard pour le deuxième service (seront ils moins stressés?), et en bonne tablée pour faire front (4 personnes mini)...

    RépondreSupprimer