samedi 11 décembre 2010

Una Seï: la boite aux trésors


Actualisation: Una Sei a changé de chef, de nom, et de carte... je n'ai pas essayé le soir les tapas pour accompagner le saké, mais hélas, la formule midi est rentrée dans la banalité.

On parle beaucoup de la rue Saint-Anne, mais dans les rues adjacentes se cachent quelques pépites, comme Una-Sei, un vrai havre de paix et de distinction tranquille posé rue de Richelieu. Ce restaurant et bar à saké, anciennement Issé, a un nouveau chef spécialisé dans l'anguille grillée (d'où son nom) et les tempura. Dans la petite salle aux pierres apparentes, aux vitres ouvertes sur la rue, à l'élégance moderne et discrète si typique des intérieurs japonais, pas de hordes de promeneurs affamés slurpant bruyamment des grands bols de ramen fumants, mais des cadres travaillant dans le quartier en pleine discussion d'affaires, des touristes espagnols aisés certainement drainés par l'article pointu d'un déco-magazine, et des amoureux se donnant rendez vous pour un déjeuner au calme.

Una Sei propose des menus construits autour des tempuras et de l'anguille grillée, avec amuse bouches et sashimi en entrée, mais aussi un délicieux bento, transformant la traditionnelle « lunch-box » japonaise en exercice de maîtrise délicate et raffinée. On déguste ainsi dans deux boites laquées noires superposées une superbe omelette fraîche, des légumes dans un curry doux, du poulet mariné au yuzu, finement pané et grillé, du riz blanc couvert de graines de sésame, tout en humant les arômes purifiants d'un thé vert servi dans un beau bol en céladon écaillé.

Sur l'ardoise au mur, une sélection de plats du jour permet de compléter le repas pour les gros mangeurs ou les curieux, dont nous étions: huîtres spéciales passées au four, cassolette de palourdes et champignons japonais au beurre, d'un parfum onctueux, apportée dans un réchaud traditionnel en poterie, et, évidemment, l'anguille sur lit de riz blanc, en réussite absolue: des morceaux délicatement sucrés parfaitement grillés, faisant alterner la fine résistance de la peau avec la texture aérienne et fondante de la chair.

Un grand bravo à Una Sei donc: nous y retournerons avec empressement un soir, nous percher sur les tabourets de la salle en sous-sol, découvrir leur carte de sakés en profitant de quelques petits plats mijotés, pour oublier un temps l'humidité glacée et la boue neigeuse parisienne.

Addition: bento midi à 20€, sinon environ 50€ par personne

Una Sei
45, rue de Richelieu
Paris 1er
01 42 96 26 60

dimanche 28 novembre 2010

La vérité sur les crêperies: entretien avec Penn Kalet

Difficile de parler de Penn Kalet sans me montrer grossièrement partial - je vous conseille juste d'aller y faire un tour si vous êtes à Nantes, à côté du cour des cinquante otages, vous ne devriez pas être déçu. Puisque ma nécessaire objectivité m'interdit de m'exprimer, laissons Penn Kalet tout nous expliquer sur la pâte...

Parlons de pâte - quelle est "la" bonne recette pour les puristes?

Chaque village a la sienne et chaque village est persuadé que la sienne est la meilleure au monde.

Ainsi de savoir s'il faut mettre du lait, des oeufs ou même du froment dans la pâte à crêpe de blé noir. Dans un village du Finistère, on mettra tout ça. A 5 kilomètres de là, on te dira que c'est une hérésie, que le blé noir c'est "blé noir, eau et sel" et rien d'autre. Les puristes du premier village diront que c'est n'importe quoi. Ainsi d'une Mamm gozh (grand-mère) de mon bled : "je suis allé dans une crêperie, tu te rends compte, ils ne mettaient même pas de lait dans leur blé noir!". Entendu en 2006.

Mais il y a une raison toute bête à cela : la crêpe c'est un aliment fruste. On mettait dans la pâte ce qu'on avait, on en faisait en quantité quand on avait le temps, on les stockait pour pouvoir en manger dès que possible et on en donnait aux vagabonds très nombreux. Et donc : dans un village plus riche, les gens n'hésitaient pas à incorporer lait, beurre et froment aux crêpes de blé noir. Dans les villages plus pauvres, on mettait le minimum. C'est l'explication. Le croustillant en est une conséquence : les crêpes de blé noir les plus simples croustilleront mieux parce que la cuisson se fait vite.

Donc tout se vaut, je peux indifféremment parler de galettes ou de crêpes et m'empiffrer?

Non, il y a une vraie ligne de fracture, quasi géopolitique : les fines et les épaisses. Tu remarqueras que je n'ai parlé que de "crêpes de blé noir" et pas de... "galettes". C'est que je viens du Finistère et que là-bas, les galettes sont des choses très épaisses qui n'ont rien à voir avec des crêpes.

Pour comprendre il faut tracer une ligne de Vannes à St Brieuc. A l'Ouest, la Basse-Bretagne (on y parlait breton): on ne parle pas de galette mais de crêpes de sarrasin ou de blé noir, elles doivent être fines absolument. Elles seront moelleuses ou croustillantes selon les habitudes locales, mais fines toujours.

A l'est, la Haute-Bretagne (on y parlait galo) où on dit "galette" et où les crêpes sont forcément au froment et sucrées. Les galettes sont épaisses, c'était la tradition. Pourquoi? En fait, il n'y a qu'en Basse-bretagne qu'on les faisait sur la Billig (plaque de fonte)qui permet la finesse, en Haute-Bretagne, on les faisait sur des poêles posées sur des trépieds. On utilisait un rozell (rateau qui sert à étaler) rond, alors qu'en Basse-Bretagne il était fin.

Que fait un crêpier de qualité?

A mon avis, un crêpier de qualité doit déjà savoir ce qu'il fait : des "crêpes de blé noir" ou des "galettes" et choisir ce qui lui plaît le mieux au lieu de répéter que la seule recette qu'il a apprise est la meilleure du monde (toutes les crêperies, surtout en Bretagne, sont persuadées d'avoir LA recette).

Ensuite, comme il pratique une cuisine simple, il doit veiller au choix de ses ingrédients. La farine est primordiale, il y a des différences énormes de qualité de blé noir. Le tour de main, tous les crêpiers l'ont. En fait, ce n'est que ça, c'est pourquoi c'est étonnant de voir autant de crêperie très moyennes.

Quels sont les signes qui peuvent faire soupçonner de la crêpe ou galette réchauffée?

Une texture cartonnée de la crêpe de blé noir. Pour réchauffer, il faut cuire des deux côtés (sinon elles adhèrent entre elles) puis recuire pour garnir... C'est donc très cuit. Ce qui a un effet désastreux sur les "crêpes de sarrasin" (cet aspect cartonné, lisse) mais qui est moins grave pour les "galettes" qui, elles, se réchauffent très bien: d'ailleurs sur les marchés de Rennes ou Nantes, les vendeuses en font des piles entières toutes prêtes qu'elles réchauffent ensuite. De quoi déclencher une émeute à Quimper.

Pour les crêpes sucrées, ce sera plus difficile à voir si c'est bien fait (dans ce cas, ce n'est pas forcément un mal), sinon la crêpe sera carrément brûlée ou très cassante.

Quels sont les petits trucs pour repérer un crêpier qui marge au maximum?

Le truc le plus basique mais qui est courant c'est de réduire la garniture: une complète à 8€ avec une demi tranche de jambon (ou d'épaule), très peu d'emmental et un oeuf (le moins cher des ingrédients). Comme il utilisera tout ce qui est moins cher, le résultat ne sera pas là. Ou encore, une banane balancée froide coupée en deux sur une crêpe crâmée (= réchauffée);avec du chocolat dessus parce qu'il faut débiter.

On peut aussi jouer sur les quantités : tout noyer dans la crème... Ainsi on prétend avoir un fromage "fermier", ce qui est vrai, mais on en fait juste fondre quelques grammes dans de la crème. En règle générale, il faut se méfier de l'utilisation constante de la crème dans les crêperie...

Mais, en fait, ce sont des "escroqueries" que l'on peut trouver dans tout restaurant (comme, ce qui se fait aussi en crêperie, annoncer du Reblochon alors qu'on utilise du "Fromage à Tartiflette"... différence de coefficient de prix de 4). Les mauvaises crêperies jouent sur le fait que les clients n'ont pas vraiment d'exigences quand il s'agit de crêpes, sauf en Bretagne peut-être.

Donc café Breizh: une voie à suivre ou une imposture?

Ils font clairement de la galette. Ils ont de bons ingrédients visiblement mais ce n'est pas ma préférence. Ce n'est pas une imposture ou alors tous les concepts en sont. En tout cas, ils communiquent très bien. Je n'ai pas trop aimé (des crêpes dessert trop sèches) mais cela vient aussi, sans doute, de mes origines de Bas-breton...

Addition: moins de 20 euros par personne

Penn Kalet
2, rue Armand Brossard
Nantes
02 40 35 39 36

samedi 20 novembre 2010

Souvenirs de Shanghai 2: des goûts et des couleurs

J'adore ces petites entrées, ici du tofu braisé dans de la sauce soja épaisse...

... ou du poulet froid mariné au vin de riz

un peu de salade dans une sauce sésame crémeuse

puis vient le canard servi avec des petites brioches...

on met la viande dans ces brioches blanches, puis on déguste

c'était la saison des oeufs de crabe poilu, présentés dans un petit pain de sésame

c'est bête comme c'est bon: des liserons d'eau passés au wok, juste croquants

le rouge du Sichuan: un poisson mandarin émerge

l'odeur puissante du tofu puant est reconnaissable à des centaines de mètres

le tofu puant, c'est comme l'époisse : c'est étonnamment doux au palais

jeudi 11 novembre 2010

Souvenirs de Shanghai 1: l'obsession Din Tai Fung

Bien sûr cela tourne à l'obsession, mais qui d'autre que Din Tai Fung offre ce petit trait brûlant de bonheur aromatique à chaque bouchée? Après Taipei, après Tokyo, nous nous sommes donc rués dans le Din Tai Fung de Xintiandi à Shanghai. Même dans la patrie des xiao long baos, que l'on trouve pour quelques "kuais" au coin de chaque rue, l'établissement connaît un immense succès. La suite en images.


tout commence par de fines lamelles de gingembre dans du vinaigre noir...
puis viennent les xiao long baos, classiques au porc ou au crabe...
il faut tremper le xiaolongbao dans du vinaigre, poser quelques lamelles de gingembre et percer un petit trou dans l'enveloppe du ravioli pour que le jus brûlant s'échappe... 
c'est fait! le ravioli est déjà dans ma bouche, reste le magnifique liquide doré et parfumé à avaler 

dimanche 7 novembre 2010

La Régalade Saint Honoré: des gènes heureux

Bonne nouvelle pour tous les gourmands du nord de Paris: la Régalade, l'illustre bistrot perdu au fin fond du XIVème entre la porte d'Orléans et la porte de Châtillon, a désormais une annexe bien plus accessible, sise au sud du jardin des Halles, dans une portion de la rue Saint Honoré encore épargnée par les boutiques de luxe.

Les grincheux pourront toujours regretter le décor boisé bistrotier de l'établissement original lorsqu'ils entreront dans la salle moderne aux tons blancs et beiges un peu impersonnels, mais toute prévention devrait être levée à la lecture du menu: un solide fond de cuisine traditionnelle familiale, parfaitement exécuté, joliment dynamisé par la vivacité des herbes fraîches, des grains de sel qui craquent, et le recours à de beaux produits.

C'est certainement ce qui fait la marque de fabrique de cette maison: à la Régalade Saint Honoré, on ne se contente pas de servir de bonnes assiettes, mais on est généreux, on ne mégote pas, recevant le client comme on accueille de vieux amis pour ces gueuletons où l'on mange toujours un peu trop, et où une dernière bonne bouteille est toujours débouchée sur la fin, même si elle ne sera pas vidée.

Ainsi, en guise de mise en bouche, une superbe terrine maison, aux chairs goûteuses et humides, circule entre les tables avec du pain craquant et un grand pot de cornichons. Ainsi les Saint Jacques marinées aux herbes et juste rôties arrivent dodues par quatre quand tant d'autres établissements se contenteraient d'en placer deux, ainsi le filet de rascasse sur risotto à l'encre de seiche est une superbe pièce débordant littéralement de l'assiette, et le riz au lait en dessert ne peut être achevé sans l'aide d'un autre convive.

Il était finalement normal, quand on est si généreux, d'ouvrir une nouvelle adresse pour accueillir plus de convives. La Régalade Saint-Honoré ne trahit point son grand frère, et montre que, loin des logiques élitistes qui voudraient raréfier le contenu des assiettes pour en accentuer le brillant, la multiplication des pains est loin de nuire à la qualité.

Addition: 50 euros par personne (menu entrée-plat-dessert à 32 euros)

La Régalade Saint Honoré
123, rue Saint Honoré
Paris 1er
01 42 21 92 40

jeudi 21 octobre 2010

La Véranda: le Gordon Ramsay Jeans

A l’occasion d’un week-end nous sommes allés humer l’air de Versailles, de ses cours arborés rectilignes, spacieux, ses immeubles du XVIIIème si élégants, droits et austères, d’une ville qui, bien que la carte nous enseigne qu’elle est aux portes de Paris, pourrait tout aussi bien avoir été téléportée à des centaines de kilomètres, dans un ailleurs, une France rêvée d’un autre temps, où entre parents en barbour, triplés blondinets en cyrillus, la décence et les bonnes mœurs règneraient encore.

Nous avons dîné à la Véranda, bistrot signé par Gordon Ramsay, installé juste à côté de son illustre et étoilé éponyme, dans les magnifiques galleries du Trianon palace. La salle en impose, plafonds sculptés culminant cinq ou six mètres au dessus de nos têtes, dans une salle aux grandes baies vitrées ouvertes sur le parc du château de Versailles, où paissent bucoliquement des dizaines de moutons. La décoration est récente et dans le ton qu’il faut, superposant le velours gris perle des sofas, la vaiselle blanche contemporaine, aux ors et moulures des murs, pour un effet très déco-magazine. Le contenu des assiettes est fort agréable: tartare de dorade sur crème légère de guacamole avec mousse de wasabi, poîtrine grillée de cochon fondante aux bords croustillantes, carré d’agneau parfaitement rôti et ses aubergines. Le tout sent la bonne technique et l’impeccable professionnalisme.

Que reprocher à La Véranda ? D’avoir peut-être un peu trop l’esprit aux affaires. Lorsque des grands couturiers descendent en gamme et siglent du jean ou de la basket, on peut rarement leur reprocher de mal habiller leurs clients. Mais tout cela sent trop le plan marketing froidement conçu et parfaitement déployé. La Véranda témoigne de la même maîtrise, étalant la plus fine couche de tartare possible sur un épais tapis de guacamole, ou découpant au plus juste la tranche de poitrine de cochon. Donc bravo aux hommes d’affaires, vive les business plan, mais en clap de fin, on se prend parfois à rêver qu’un peu plus de générosité et de passion viennent troubler la perfection des ors dans ces palais.

Addition : 80 à 100 euros par personne

La Véranda
1, boulevard de la Reine
Versailles
01 30 84 55 55

dimanche 17 octobre 2010

Le Cotte Rôti II: et le soir c'est tout aussi bon

Nous sommes enfin retournés au Cotte Rôti à l’occasion d’un dîner planifié au millimètre pour l’anniversaire surprise d’une amie. Dans le fracas des retrouvailles, le brouhaha d’une salle comble, le tintement des coupettes de côtes du rhône vite vidées, la soirée est passée à une vitesse stupéfiante, comme en accéléré.

Restent quelques images, une fois dehors, l’air frais nocturne dégrisant les esprits tandis qu’on remonte lentement la rue pour chercher son vélo batave : une jolie salle fraîchement redécorée, passée du rouge et noir à la pierre apparente, au métal, aux tons grisés. Un service haut en couleur, certes débordé lorsque la salle était comble, mais gardant bonne humeur et sens de la répartie. Des bouteilles à prix étonnamment raisonnable, 25 euros pour 75cl de bons jus devenant une denrée rare à Paris. Des plats goûteux, du pressé au foie gras onctueux, bien relevé, de la chair d’araignée en nems éclatante, pimpante, un agneau de sept heures fondant et croustillant, avec comme seul bémol des quantités un peu trop ajustées. Le sentiment joyeux, finalement, de tenir là une solide adresse sur laquelle on peut compter.

Voir l'ancien billet sur le Cotte Rôti ici

Addition: 50 euros par personne (menu entrée-plat-dessert à 34 euros)

Le Cotte Rôti
1, rue de Cotte
Paris 12ème
01 43 45 06 37

samedi 9 octobre 2010

Likafo: la corne d'abondance cantonnaise

Si vous êtes à la recherche de vrais restaurants chinois à Paris, Likafo, déniché après une séance sur internet croisant des recommandations sur un forum de voyageurs en mal d'Asie, et une vieille liste d'adresses postée par un expatrié taiwanais, ne semble pas une mauvaise option: on y redécouvre le charme de l'accueil cantonnais, expéditif et maussade. La petite salle nue, sans aucune décoration superflue sous la lumière crue rappelle bien les cantines de Chine. La carte est irréprochablement authentique, comme chez Sinorama, notre référence. Mais ce qui doit tant rappeler le pays aux nombreuses tablées de clients chinois, ce sont les proportions littéralement gargantuesques des plats.

Dans de nombreux restaurants là-bas on a le choix entre une « grande » et « petite » version. Likafo a décidé de miser sur du lourd, et, en commandant un simple plat de poulet à la vapeur nous nous sommes retrouvés devant pas loin d'un kilo du volatile coupé en tronçons. Les autres plats étant à l'avenant, nous avons vite crié grâce et demandé qu'on nous mette la moitié de notre sélection dans des barquettes d'aluminium, avant de repartir d'un pas lent, le souffle court.

Cela n'a pas semblé gêner les autres clients, chinois ou étudiants au courant du bon plan, tous occupés à attaquer les plats, baguettes levées et bol de riz brûlant bien en main.

Addition: moins de 30 euros et plus de 2,5 kilos de nourriture par personne

Likafo
39, avenue de Choisy
Paris 13ème
01 45 84 20

dimanche 3 octobre 2010

Sardegna a Tavola: pour le reste, il y a Mastercard

Voilà un habile restaurateur sarde qui s'empare d'excellents produits (couteaux, langoustines, bar, ventrèche de thon, homard, poutargue, charcuterie goûteuse), concocte un menu alléchant plein de généreuses propositions inconnues (raviolis à la pomme de terre et au fromage de chèvre cousus main, cassolette de fruits de mer au graines de blé dur, salade de poulpe et ses fines lamelles de fenouil cru, poutargue sarde grillée), l'arrose d'une carte de vins dont on a tout à apprendre, enveloppe le tout dans un cadre bucolique et rustique (conserves et bouteilles alignées aux murs, jambons séchant au plafond), le remplit d'habitués cossus semblant tous le connaître personnellement, pose l'ensemble en face du marché d'Aligre, ce paradis pour amateurs de bonne chère, et finit par pratiquer des prix venus d'une autre galaxie, gravitant audacieusement à quelques encablures des relais et châteaux et des premiers étoilés michelin.

Etes vous des jouisseurs que rien n'étonne, qui ne font jamais leurs comptes, et recherchent avant tout et à n'importe quel prix le plaisir d'avoir superbement dîné? Ou appartenez vous au groupe des inquiets justiciers, qu'un soupçon de marge abusive révolte, se préoccupant surtout de trouver le bon rapport qualité-quantité-prix? Nous avouons faire plutôt partie de la première catégorie et retournerons sans ciller à Sardegna a Tavola découvrir d'autres spécialités sardes (on nous parle de cochon de lait rôti...)

Malgré tout, un doute demeure: étonnant comme tant de bons restaurants italiens à Paris semblent prendre un malin plaisir à nous diviser, à nous narguer, à nous pousser à l'extrême limite sur cette question fondamentale. Pourquoi ont-ils décidé que dans la vie il fallait avoir deux visages? celui pour les habitués, les connaisseurs, à accueillir chaleureusement pour communier autour des bons produits du terroir, et celui pour le tout-venant, à traiter avec désinvolture, pour qu'il peste avec agacement contre les prix déraisonnables?

Addition: 80 euros par personne

Sardegna a Tavola
1, rue Cotte
Paris 12ème
01 44 75 03 28

dimanche 26 septembre 2010

Le Réveil du Xème: des racines et du pâté

C'est un ami venu de loin, de la côte pacifique du Canada, qui, lorsque nous avons voulu choisir le restaurant de nos retrouvailles, a dédaigné nos propositions de bistrots gastros, pour nous réclamer, par pitié, « des bactéries ».

Son long séjour dans un milieu anglo-saxon où fourmillent les propositions calibrées, parfaites à gifler tant elles alignent d'impeccables poncifs, gastronomie méditerranéo-macrobiotique, décors contemporains tirés de wallpaper, cuisine apparente, vins du monde en ballons de dégustation et serveurs méticuleusement décoiffés, l'avait ramené à un stade bien plus primaire, un besoin guttural de renifler, frotter, mastiquer, pourlécher du bon produit en terrain connu: du saucisson raide et desséché, musqué et piquant, des tranches épaisses de pâté humide, terreux, friable, des fromages au lait cru ratatinés, dont la croûte brunie et durcie cède sur une chair dorée, onctueuse et puissamment odorante.

Alors nous avons évité les adresses trop pointues, celles où l'on va parce que tel jeune chef, où l'on débat de l'origine des produits, on dissèque les tours de main, on jauge les présentations, on critique et compare pour mieux se féliciter de la pertinence de ses jugements croisés, nous avons marché tranquillement le long de la rue du château d'eau à la tombée de la nuit, dans l'air frais et humide, et sommes entrés dans un petit établissement faisant le coin avec le marché Saint Martin, un lieu ressemblant à n'importe quel café parisien, le Réveil du Xème.

Le Réveil du Xème nous a accueilli comme il se doit, dans son décor en formica figé depuis des décennies, serveuse efficace et gouailleuse en plein coup de feu, clientèle nombreuse, tordant le cou pour lire les ardoises placardées aux murs, et commandant fillettes de saint pourçain ou de beaujolais, accompagnées de planches de charcuterie ou de vieille fourme et de saint nectaire affiné.

Non, personne n'a l'idée malsaine d'aller au Réveil pour faire le beau. On y va, modeste, pour profiter de vrais produits auvergnats, préparés au plus simple, sans concession aucune à l'air du temps qui impose que les plats s'allègent, que les haricots verts remplacent les frites, et que les sauces soient servies à part. Cela commence par de la terrine de sanglier, du foie gras, du cou farci, ou du pâté de tête, avant d'attaquer le choux farci, l'onglet-échalotes, le confit, l'entrecôte, le tripoux. Le tout à des prix extrêmement raisonnables.

Alors les rondes de côtes du Rhône se sont succédées, l'ambiance de nos petit groupe s'est animée et avinée, et quand nous sommes ressortis, estomac sous tension et esprit joyeux, j'ai compris à un petit soupir de satisfaction que notre ami avait enfin retrouvé ce qu'il était venu chercher.

Addition: 30 à 40 euros par personne

Le Réveil du Xème
35, rue du château d'eau
Paris 10ème
01 42 41 77 59

samedi 11 septembre 2010

Sinorama: étudions bien nos classiques

Je crois y être allé une première fois il y a plus de quinze ans pour un de ces grands déjeuners de famille où, à l'occasion d'une visite d'amis venus du pays, l'on se réunit autour d'une table ronde au plateau tournant débordant de plats pour ripailler. Le Sinorama était déjà à l'époque une des rares références de cette frange non négligeable de parents des communautés asiatiques qui, fanatiques du bien manger, se méfient pourtant comme peste des restaurants chinois de la capitale.

« gras, huileux », « sale et salé », « cher et pas bon », « attention, on ne sait pas quels produits frelatés ils utilisent » sont les termes qui reviennent en boucle lorsqu'il s'agit d'aller au restaurant, traçant en creux les contours des vraies valeurs de la cuisine chinoise familiale: des plats simples, beaucoup de légumes, de la cuisson vapeur, du tofu, des vitamines, du riz complet, du fait maison, par cette même main maternelle inquiète qui réceptionne d'improbables compléments alimentaires envoyés par une cousine californienne, graines germées inconnues à saupoudrer sur son riz, gélules d'oligo-éléments cueillis sur mars, concentrés d'algues refoulant le port à marée basse à avaler au réveil, tous ces petits plus censés aider à mener la bonne vie, celle faite de levers à l'aube et de durs labeurs.

Le Sinorama, ou « Da Jia Le » en chinois, a réussi l'exploit d'obtenir une mention « passable » de la part de ces mères fanatiques de vie saine. Son secret? Une carte authentiquement cantonnaise, exécutée dans la pure tradition, ne cédant rien aux (dé)goûts occidentaux: salades de méduse, langues et pattes de canard, intestins de porc, tripes, oeufs fermentés ou oeufs de cane salés, concombre amer, poitrine de porc bien grasse en marmite tiennent leur rang à côté de propositions plus consensuelles comme des dims sums, de la rôtisserie, des légumes sautés à la sauce d'huitre ou à la sauce XO, servis croquants comme il se doit, et même des soupes de riz, les fameux congees que l'on dévore au petit déjeuner ou tard le soir, assis sur un tabouret en plastique dans les ruelles de Hong-Kong.

Les années ont passé et le décor, moderne et fonctionnel, n'a pas bougé. Les plats du jour inscrits en chinois sur des banderoles rouges collées aux murs intriguent toujours les clients occidentaux. Le service est toujours aussi expéditif. Est-ce le fait qu'il y ait un peu moins de monde? Que le premier Sinorama, situé presque en face avenue de Choisy, soit désormais remplacé par un bien vilain Fujirama débitant du sushi industriel? Les plats m'ont semblé un petit peu moins vifs qu'avant. Mais ne nous trompons pas de combat: le Sinorama continue à porter beau, et à défendre avec acharnement les couleurs d'une authentique cuisine chinoise.

Addition: 30 à 40 euros par personne

Sinorama
23, rue du Docteur Magnan
Paris 13ème
01 53 82 09 51

vendredi 27 août 2010

Le Cotte Rôti: encore une jolie table dans le quartier des gourmands

Nouveau billet: Le Cotte Rôti, c'est bon aussi le soir

Un beau matin à la fin du printemps dernier nous nous sommes retrouvés à Paris, hors de l'appartement, sans avoir rien à faire. 


Par la grâce d'une journée de congé posée et d'une nounou fidèle à son poste, nous avons pu traîner de terrasse en terrasse, lisant et relisant paresseusement le journal, l'oeil à moitié aveuglé par les rayons du soleil, commandant café sur café, entrecoupés de ces petits verres d'eau tiède et légèrement métallique qu'apportent avec réticence les serveurs. Sentant la température monter, nous avons marché le long des trottoirs brûlants de la rue du faubourg Saint Antoine pour aller découvrir une adresse vivement recommandée par un expert en bonnes assiettes, le Cotte Rôti.

Autant le dire tout de suite: ce bistrot, sa salle moderne, rouge et sombre, ouverte sur la rue, ses quelques tables alignées sur le trottoir étroit, tout cela est posé en plein paradis pour gourmands: derrière un restaurant sarde connu, à deux pas du marché d'Aligre, et à quelques encablures de la rue Paul Bert, havre de la bistonomie. L'absence de circulation, le calme uniquement troublé par les conversations de badauds attablés et le léger tintement de leurs verres sirotés en terrasse contribuent à rendre le quartier particulièrement attrayant pour une petite halte.

Nous sommes arrivés en début de service, squattant une table extérieure, et avons pu profiter d'un excellent menu déjeuner: un carpaccio d'artichauts goûteux et généreusement assaisonné en entrée, puis quelques belles tranches d'un rôti de veau en cocotte tendre et légèrement rosé, et des aubergines grillées au parmesan, le tout accompagné de bon pain brun, ferme et craquant. Le café serré pour finir nous a donné le courage de nous lever et repartir, dans la chaleur brûlante, continuer notre journée décalée de néo-touristes parisiens, avec une ferme intention: repasser un soir après le bureau pour découvrir leur carte complète.

Addition: menu de midi à 15 euros

Le Cotte Rôti
1, rue de Cotte
Paris 12ème
01 43 45 06 37

lundi 9 août 2010

Le roi des xiao long bao (le retour)

Oui, je l'avoue, nous sommes retournés chez Din Tai Fung. En farfouillant dans l'excellente base de données "Tokyo food page", nous avons vu que le grand maître des raviolis de shanghai à la sauce taiwanaise avait ouvert une officine à Tokyo, dans Times Square, en face de notre hôtel... La tentation était trop grande, et nous y avons cédé.

Quarante minutes d'attente (on ne prend pas de réservation) avant de pouvoir enfin s'asseoir et attaquer les fameux xiao long baos: ils sont présentés par six dans leur grand panier en bambou, la pâte est quasi translucide. On la saisit délicatement avec les baguettes, car l'enveloppe est fragile et le contenu tremble, en partie liquide. On passe le ravioli rapidement dans du vinaigre noir, on le pose, intact, dans sa cuiller, on dispose quelques lamelles de gingembre dessus, puis on perce un petit trou à l'aide de la baguette pour que la buée s'échappe, puis vite, on attaque le morceau, on le porte en bouche, le jus de la farce sort brûlant de la poche, c'est un concentré de saveurs, on mastique le tout, le peu qui s'échappe tombe dans la cuiller: non, non, non, nous n'en perdront pas une goutte...

samedi 7 août 2010

Le bonheur en boîte


Voilà un joli bento pêché ce matin dans un supermarché du coin... Quand on pense aux pasta box "fusilis aux quatre fromages" qui fleurissent dans les rayons réfrigérés des daily monop, c'est à hurler de rage et à demander justice: renvoyons immédiatement les marketeurs de Kraft foods en Asie pour une séance de rééducation au vrai snacking!

mercredi 28 juillet 2010

Enfin là bas

Enfin en vacances au Japon depuis deux jours...

Décidément rien n'y fait: ni la fatigue d'un vol Paris-Narita suivi immédiatement d'un shinkansen pour Kyoto puis d'un train local pour Nara, ni le décalage horaire décalé d'un bébé se réveillant à 4h du matin alors qu'il devrait dormir jusqu'en début d'après midi, ni la chaleur et l'humidité ne peuvent empêcher le plaisir des retrouvailles. Il commence dès l'arrivée dans l'ambiance feutrée de l'aéroport, et promet de durer encore quelques jours... à nous la longue succession d'onsen, de séances de shiatsu, et de restaurants...

lundi 7 juin 2010

L'Ober-salé: la timidité n'est pas un vilain défaut

Voici un petit bistrot que nous avons eu du mal à dénicher, bien qu'il soit établi au coin de notre rue, tant sa devanture en bois sombre, en dehors des horaires d'ouverture, donne sur un intérieur si rangé qu'il en paraît vide: pas de signe de vie, pas d'enseigne, pas de carte encastrée près de la porte pour appâter le badaud, l'Ober-salé passe inaperçu dans ce bout de rue Oberkampf proche du boulevard Beaumarchais, où se mélangent joyeusement boutiques de jeunes créateurs, petits bars et restaurants sans chichis, un caviste indépendant bio et un takeaway indien.

Cet Ober-salé doit être un grand timide, un bistrot qui courbe le dos et baisse le regard, tout apeuré de jouer dans la même cour que ses illustres confrères, amis-disciples de Camdeborde, qui, forts d'une zagatisation avancée, font salle comble à tous les services et peuvent se permettre, souvent débordés, parfois hautains et blasés, de faire reconfirmer les réservations, de refuser du monde, voire, suprême distinction, de fermer le week end.

Pourtant, l'Ober-salé n'a aucune raison de se cacher, et offre une vraie jolie surprise, les savoureux morceaux, qu'on sent confectionnés avec soin, de ses assiettes: un pressé de joue de boeuf au foie gras au goût profond et ample, une cuisse de pintade au choux vert ferme et fondante ont vite fait mon bonheur, tandis qu'en face on optait avec autant de réussite pour des saveurs marines: asperges à la crème de langoustine et filet de dorade sur légumes, le tout arrosé d'un bon petit vin de loire puisé dans une courte carte. Un pain perdu tout simple et une assiette de fromages ont complété le repas.

En fait, le charme de cet établissement tient à son intimité: six ou sept tables mises sagement dans un espace un peu sérieux, sans éléments de décoration, un jeune couple qu'on sent appliqué qui fait tourner l'ensemble, lui, le chef, seul en cuisine, elle s'occupant de la salle. On se sent presque chez quelqu'un, impression renforcée par la simplicité des accompagnements, pas de commis ici pour parfaire la décoration en posant une feuille de bacon ou une lamelle de parmesan frite, et par la gentillesse du service.

Mine de rien, l'Ober-salé nous a offert un vrai petit moment de saveur, nous permettant de fêter dignement l'arrivée des longues soirées d'été, quand les trottoirs sont encore chauds, quand on s'attarde en terrasse autour d'un kir un peu piquant et d'un bol de chips grasses, avant d'aller profiter de ses bonnes assiettes en voisin avisé.

Addition: 50€ par personne (menu à 35€ je crois)

L'Ober-salé
17, rue Oberkampf
Paris 11ème
01 43 38 46 68

samedi 17 avril 2010

L'Ourcine: le bistrot bien tempéré

Je suis retourné à l’Ourcine à l’occasion d’un de ces dîners de début de semaine qui font vraiment plaisir, car incongrus, non raisonnés, échappant à la logique productiviste qui voudrait que l’on démarre fourbu et maussade le lundi, reconstituant patiemment ses forces chez soi à coups de plateaux repas, pour se lancer, le week-end venu, dans une débauche frénétique d'activités et de sorties: courses au monoprix, shopping, déjeuner de famille, cinés ou expos, apéros avec les copains, dîners gastro avec des couple d'amis, brunchs ou goûters d’anniversaire des petits, ballades dans des squares bondés de jeunes couples cherchant tous dans le sillage de leur Mac Laren le meilleur banc ensoleillé, certes, mais pas celui où se tasse, dans des grognements, l'odoriférant clochard, nez aviné plongé dans la broussaille de sa barbe.

Non, en début de semaine, on respire en marchant tranquillement le long du boulevard Arago désert, le nez en l’air, en prenant le temps d’apprécier le calme de la ballade, les derniers étages, les toitures des immeubles haussmanniens, le ciel à l'approche de la nuit, et la douceur retrouvée du printemps.

Ce soir là, l'Ourcine fournissait un cadre parfait pour un dîner tranquille: une petite salle carrée toute simple, un vieux zinc sur la gauche, une dizaine de tables, la cuisine au fond, ouverte sur la salle, les plats crayonnés sur les ardoises aux murs, les petites tables en bois sombre: les codes du bistrot gastro étaient bien respectés à la lettre, nous entrions en terrain connu et rassurant. Ajoutons quelques convives attablés mais un restaurant loin d'être archi-bondé, et, l'un expliquant peut-être l'autre, un service décontracté et très sympathique, tous les ingrédients étaient réunis pour profiter des assiettes: des ravioles de chair d'araignée à la coriandre, un marbré de joue de boeuf plein de saveurs, une truite saumonée aux amandes, de la poitrine de cochon croustillante avec une polenta, que du bon, bien fait, joliment tourné et avalé, bien accompagné d'un excellent pinot noir d'Alsace. Seuls les fromages et desserts nous ont un peu laissé sur notre faim: un fromage de chèvre tout triste, et des poires pochées au chocolat aux arômes comme dilués et aqueux.

Un petit regret, certes, mais pas de quoi piquer une crise dans cette ambiance décontractée, où même le bruit des conversations et le tintement des verres sont atténués. Merci donc à l'Ourcine pour nous avoir offert une de ces petites tranches de plaisir qui font sourire, embellissent nos soirées en semaine, et, par ricochet, rendent plus lents et paisibles nos week-ends.

Addition: 50€ par personne (menu entrée-plat-dessert à 32€ je crois)

L'Ourcine
92, rue Brocca
Paris 13ème
01 47 07 13 65

dimanche 28 mars 2010

Gwon's dining: la vérité est dans le kimchi

Manger coréen, c'est souvent aller s'encanailler: on y va sur un coup de tête, un peu roquet, prêt à relever le défi d'une cuisine qui mitonne tout à base d'ail et de piment, provoquant l'effroi du bourgeois: oui, l'ail paysan, l'ail du bouseux aux effluves si puissantes qu'on évite à tout prix de le consommer, et, s'il faut vraiment en mettre, dont on fait rissoler une gousse écrasée avant de vite la retirer et de la jeter au loin. Que dire du piment, venu d'on ne sait quel pays tropical pour brûler nos délicates papilles et tordre violemment notre appareil digestif?

Alors pour se faire des frissons, on pousse la porte d'entrée de cantines aux murs défraîchis par la succession des grillades, offrant les grands basiques: ailes de poulet frites à l'ail, le fameux barbecue coréen, souvent du bulgogi, des lamelles de boeuf marinées grillées à même la table, accompagné de quelques coupelles de kimchi (ces légumes fermentés dans du piment et de l'ail) et de riz, ou, pour les plus chastes, le bibimbap, ce grand bol brûlant de riz et de légumes que l'on touille avec une sauce légèrement piquante avant de l'avaler.

Mais la cuisine coréenne ne peut être réduite à un gros snacking piquant, et quelques établissements à Paris proposent d'étonnantes versions plus raffinées et variées. Gwon's Dining fait partie de cette caste d'heureux élus, et justifie amplement son motto de "cuisine coréenne fine".

Dès l'abord, Gwon's Dining se distingue du tout venant, en misant sur une décoration immaculée, toute en transparence et en dépouillement. L'éclairage, légèrement trop puissant, met cependant bien en valeur de beaux meubles traditionnels posés ici et là dans cette salle en longueur, habilement découpée en plusieurs espaces.

La lecture de la carte confirme notre première impression en offrant de nombreuses propositions méconnues, que nous nous sommes empressés de goûter: des huîtres frites, compactes, panées et dorées à souhait, du bossam (de fines tranches de porc cuites aux épices et refroidies, que l'on mange roulées dans des feuilles de salade avec du kimchi), ici à rouler dans des feuilles de choux chinois en saumure, un tartare de boeuf à la poire, un assortiment de poitrine de porc, de tofu et de kimchi, une marmite de merlan séché au piment, un bibimbap d'orge, le tout arrosé d'un peu de makgeolli, un vin de riz laiteux aux forts relents de céréale fermentée, et d'une bouteille de sancerre tirée d'une carte des vins assez travaillée.

Un petit détail m'a marqué: leur kimchi était visiblement fait maison, à base d'huîtres fraîches. La saveur marine des huîtres restait étonnamment présente et s'équilibrait parfaitement avec l'ail et le piment. Le kimchi servant autant d'accompagnement au riz que d'ingrédient dans de nombreux plats, c'est toute la carte de Gwon's Dining qui se trouve ainsi sublimée. Quand on y ajoute la gentillesse de l'accueil, il n'est pas étonnant que ce restaurant connaisse un succès mérité, comme le montrent les nombreux expatriés coréens attablés entre amis ou en famille, y compris un dimanche soir.

Addition: 50€ à 60€ par personne

Gwon's Dining
51, rue de Cambronne
Paris 15ème
01 47 34 53 17

samedi 13 mars 2010

Tai Yien: Dans les rues de Hong Kong

Certains samedis, on refait son stock de condiments et produits asiatiques en allant, malin, à Belleville, pour éviter les foules se ruant dans les supermarchés chinois de l'avenue d'Ivry. Passer une heure au Paristore est un vrai plaisir, mais aussi une rude épreuve des sens. Ce grand supermarché plutôt bien achalandé est un improbable croisement de Franprix et de Frères Tang: aux rayonnages franchouillards (jambon découenné, petit pois, Vieux Pape, pâtes fraîches "ricotta épinards") succèdent les étalages asiatiques (nouilles instantanées, sauces au haricots noirs, satays, champignons séchés, tofu frais, pâtés de porc vietnamiens) dans une joyeuse cacophonie.

Une fois dehors, le caddie gonflé de victuailles, la faim se fait vive, et il est temps de profiter du quartier pour snacker. Dans ces cas, on peut réserver Le Pacifique pour une meilleure occasion, un dîner façon "banquet chinois", rassemblant une dizaine d'amis autour d'une table ronde, et se diriger plutôt vers Tai Yien, la grande rôtisserie à l'angle de la rue de Belleville et de l'accès piéton au square de Rébeval.

Chez Tai Yien, pas besoin de faire de chichis ou de jouer au gourmet: on est dans un snack de Hong-Kong, comme l'indique l'alignement de canards laqués, travers de porc, poulets suspendus derrière la buée de la vitrine à gauche de l'entrée. Un cuistot officie dans ce box, tranchant les chairs à grands coups de hachoir sur une planche de bois bosselée, avant de les verser dans des bols de soupe de nouilles fumants. Qui dit Hong Kong dit évidemment le meilleur du fameux service à la cantonnaise: un regard maussade en guise de sourire d'accueil, une prise de commande sans piper mot, et des plats balancés sur la table dans un mélange d'efficacité et de dédain fatigué.

C'est ainsi, en toute décontraction, qu'on se rassasiera d'une soupe de nouilles au canard laqué ou d'une grande assiette de riz au porc cha-siu, accompagné d'un plat de légumes verts sautés à la sauce d'huîtres, et de quelques rasades de thé au jasmin: efficace, bon et pas cher, Tai Yien remplit sa fonction à merveille, comme l'atteste le patron du Sin An Kiang, restaurant chinois de référence avenue de la République, croisé dans ce même lieu, et occupé à sucoter ses pattes de poulet vapeur avant d'attaquer, à grandes aspirations, sa soupe de nouilles brûlante.

Addition: 20€ par personne

Tai Yien
5, rue de Belleville
Paris 19ème
01 42 41 00 72

dimanche 21 février 2010

Le Père Claude: La viande tranquille

En ces tristes semaines où l'hiver semble s'étirer dans une longue traînée d'humidité glacée, il faut résister à la tentation de midi, celle de s'envoyer 300 grammes d'entrecôte XXL sauce béarnaise anonyme sur un lit de frites industrielles, à cette promesse d'une satisfaction facile, d'une douce somnolence digestive ponctuée de légers reflux gastro-oesophagiques à étouffer discrètement tandis que l'on fixe, sans le voir, l'écran de son ordinateur, de retour dans la chaleur des open spaces.

"Plaquez tout pour de beaux morceaux", nous proclament pourtant depuis quelques semaines des rugueux de l'équipe de France, crayonnés de trois quart, avant-bras d'acier croisés sur torses sur-gonflés, regards droits et cous épais: les affiches de l'hippopotamus du bas du bureau ne font décidément pas dans la finesse, et nous replâtrent à grand coups de truelles une association bien connue, celle de la barbaque bien saignante, et de la virilité.

S'il faut manger de la viande, entrons donc en résistance. A l'agressivité marketing toute en muscles, nous opposerons la rondeur du notable, à la viande saisie et violemment brûlée par le gril, la flamme de la broche qui préserve les sucs et la tendresse des chairs. Plutôt que de s'empiffrer un midi dans le cadre aseptisé d'un franchisé de banlieue, nous attendrons sagement le soir, le temps de marcher lentement le long des trottoirs déserts bordant l'UNESCO avant d'entrer dans un établissement d'angle, brasserie cossue, promoteur à succès de la bonne viande: le Père Claude.

On y est accueilli par la chaleur de la broche, les clients, hommes d'affaire, habitués du quartier, s'installent tranquillement dans la salle confortable toute en tons beiges. Une atmosphère bonhomme règne, à l'image de plats tout simples, s'appuyant plus sur la qualité de la viande et la justesse de la cuisson que sur des préparations élaborées. Nous avons pu profiter d'une terrine de langue de veau sauce ravigote, puis, surtout, de la rôtisserie: poulet entier, carré d'agneau, andouillette, côte de boeuf: autant de pièces parfaitement cuites, savoureuses qui, accompagnées de purée et d'un saint-joseph, dessinent les contours des repas comme on les aime, antidotes à la déprime les soirs d'hiver: généreux, simples et réconfortants.

Addition: 50€ par personne

Le Père Claude
51, avenue de la Motte Piquet
Paris 15ème
01 47 34 03 05

mardi 26 janvier 2010

Kifune: Du grand bistrot japonais

Samedi dernier était un grand soir, celui d'un retour au restaurant à deux, une fois le contenu d'une nacelle rouge laissé à la garde attentive de la belle-mère, et un léger sentiment d'irréalité et de culpabilité surmonté tandis que notre taxi filait, "comme avant", le long des grands boulevards. Pour cette occasion nous avions voulu tester un nouveau restaurant Japonais, très bien noté dans le petit guide "Itadakimasu" qui sert de fil rouge à nos explorations culinaires nippono-parisiennes.

Kifune est un petit restaurant situé dans une rue calme, à deux pas de la porte Maillot. La porte franchie ouvre sur une petite salle: un comptoir en occupe la partie droite, exhibant de belles pièces marines derrière ses vitres réfrigérées et d'impressionnants magnums de saké au mur, où le chef sushi officie devant ceux qui ont choisi de dîner tranquilles, perchés sur les tabourets. A gauche, la partie restaurant accueille une vingtaine de couverts. Une petite alcôve au fond permet à une famille de manger tranquillement autour d'une table ronde. La décoration toute simple, l'empressement des serveuses et les paroles de bienvenue nous accueillant dès que l'on passe le seuil, nous rassurent immédiatement: nous sommes bien entrés dans une petite zone extra-territoriale, un morceau de Japon télé-transporté à Paris, pas le Japon formaliste des ryokans de Kyoto, mais celui, simple et intime, des bistrots de quartier, ces "izakaya" où l'on vient discuter au comptoir autant que boire un coup ou manger un morceau. De fait, à 19h30, heure peu parisienne pour dîner, les clients sont presque tous japonais, et sont visiblement des habitués, prenant le temps d'échanger des nouvelles avant de s'installer.

Un coup d'oeil sur la carte confirme cette impression: Kifune propose une grande variété de plats comme souvent dans les "izakayas": sushis et sashimis bien sûr, mais aussi entrées vinaigrées et salades, flancs d'oeuf, soupes, viandes et poissons grillés, fritures, plats braisés... Nous profitons ainsi d'un magnifique assortiment de sashimi avec de superbes morceaux de thon gras, de seiche crue aux oursins, d'une salade d'épinards vive et fraîche, d'un petit flanc d'oeuf, d'une superbe rascasse grillée au sel et ses graines de gingko, et de morceaux de poulet frit.

De retour dans la rue, un petit sentiment de bonheur flotte: ce Kifune offre une cuisine d'une superbe qualité tout en restant très loin du Japon grand luxe, au minimalisme chic et opulent, bien au contraire il se pose sans prétention au ras du bitume, au plus près de la vie de quartier, et par la magie d'un repas, nous donne envie de prendre le prochain avion pour s'asseoir là bas, sur un tabouret, et regarder les gens passer en grignotant des edamame, une bière fraîche dans la main.

Addition: 50€ à 60€ par personne

Kifune
44, rue Saint Ferdinand
Paris 17ème
01 45 72 11 19

lundi 11 janvier 2010

Le Coquillage: Le bonheur dans les épices

Au bout du voyage, du flot pâteux de véhicules franciliens s'engorgeant le long des parallèles de l'A6 puis de l'A11, de l'engourdissement des kilomètres autoroutiers, de chaleur dans l'habitacle quand les vitres sont si froides, de nationales bretonnes sous la pluie neigeuse une fois la rocade de Rennes contournée, il y a une sortie, une petite départementale où l'on descend brièvement les vitres pour respirer l'air glacé, quelques villages vite traversés, et enfin, la mer.

Nous sommes arrivés au château Richeux, manoir élancé du début du siècle, posé au milieu des arbres, sur un surplomb dominant la ligne des flots. D'emblée, un petit détail est allé droit au coeur: à droite de la bâtisse principale, une petite maison en bois est en fait un four à pain...

Le bistrot Le Coquillage est totalement intégré à la demeure. La réception est au pied du magistral escalier. Du bois sombre, quelques maquettes de bateaux, de grandes portes, une armoire vitrée où sont rangés des flacons d'huiles parfumées et d'épices. Les salles à manger, dans un contraste agréable, sont d'un blanc immaculé, mettant en valeur les fenêtres donnant sur la mer, qu'on devine proche, dehors, dans l'obscurité.

D'emblée la gentillesse de l'accueil mettent à l'aise: on se sent libre de piocher dans une carte marine qui donne le tournis: saint jacques crues au vinaigre celtique, araignée décortiquée à la "poudre des alizées", barbue aux cumbavas ou solettes aux citrons confits. Le Coquillage est un appel au voyage, et de nombreux ingrédients cachés saupoudrent ses assiettes. Si cuisiner aux épices peut être un joli argument marketing, réussir à équilibrer les saveurs comme le fait ce bistrot, il est vrai mené par Roellinger, est rare. Ici, pas d'expérimentation abrupte, d'alliances forcées, de provocations, pas non plus d'usage éclatant et intensif comme dans de nombreuses cuisines asiatiques. On sent que cette maison a sa tradition propre pour incorporer les épices et exprimer leurs arômes, une subtile maîtrise permettant d'arriver au juste équilibre, celui qu'on croît naturel, comme si intégrer de la citronnelle et des cumbavas dans une légère mousse crémeuse allait de soi.

C'est finalement simple: tout est rond et parfait. Les plats certes, mais aussi l'ambiance distinguée et tranquille, le service accueillant, le pain odorant tout en croûte craquante et mie profondément ferme, les vins avec de sages propositions de Vouvray ou Savennières autour de 35-40 euros, la générosité des parfums mais aussi l'abondance dans les plats, les grandes tables roulantes de fromages bretons et normands et de desserts proposées à la fin.

En partant le lendemain, nous pouvions contempler avec regret les salles aux baies vitrées inondées de lumière où l'on lissait les nappes et préparait les tables pour le service de midi. Il était déjà temps de tourner le dos à cette maison malouine, qui le temps d'un bref séjour nous a parlé voyages autant que bonne chère, et de rentrer à Paris.

Addition: 80€ à 100€ par personne (menu à 51€)

Le Coquillage - Les maisons de Bricourt
D155, route du mont Saint-Michel
Saint Méloir des Ondes
02 99 89 64 76