jeudi 21 mai 2009

El Pescador: Notre ami le Pêcheur

Tout le monde n’a pas la chance de naître avec le goût du poisson bien en bouche. Petit, les premières impressions tiraient franchement vers le négatif : quelques poissons blancs cuits au micro-onde, un soir de semaine, à avaler sous la contrainte maternelle. De temps en temps, du poisson pané, imposteur masqué sous ses croûtes frites, à noyer impérativement dans la mayonnaise. Par la suite, la cantine n’améliorait vraiment pas les choses : nous avons tous redouté le vendredi et ses pavés de poissons mous surcuits, aux bords oxydés par ressac d’un jus fade et amer. Enfin, les années étudiantes, contraintes pécuniairement, ne poussaient pas à la consommation de produits de la mer, l’objectif étant plutôt d’avaler vite un sandwich ou une crèpe complète avant de filer dans un pub ou en soirée.

Et puis, sont venues nos années à Madrid. Une découverte, un moment magique, marquant un avant et un après. Pratiquants réguliers du Pescador en trois ans de séjour, nous en sommes sortis convertis et prosélytes.

Nous sommes rue Ortega y Gasset, dans la partie calme du très bourgeois quartier de Salamanca : de vastes trottoirs ombragés, des immeubles opulents. En hiver, les couples quincagénaires marchent dignement, engoncés dans des lodens verts et des manteaux de fourrure. Les chiens y sont promenés en laisse par des chicas équatoriennes. Les restaurants offrent systématiquement un service de voiturier, et notre Pescador ne déroge pas à la règle. Il faut dire que c’est une vieille institution : une devanture discrète, en bois sombre, ne laisse rien deviner de l’intérieur. Une fois entré, l’œil s’attarde à peine sur la grande salle marine rustique, un rien vieillotte, avec ses nappes à carreaux blancs et bleus et ses chaises en bois épais : il est immédiatement attiré par l’étal réfrigéré, où sont alignés de magnifiques produits de la mer.

Le Pescador appartient à une famille de poissonniers de La Corogne, et cette filiation est évidente quand on regarde la carte, strictement atlantiste : homards, langoustes, langoustines, crevettes, pouce-pieds, tourteaux et araignées sont proposés en entrée, ainsi que le meilleur « salpicon de marisco » (salade de fruits de mer) que nous ayons goûté à Madrid. Puis viennent les poissons : sole, bar, turbot, daurade, lotte, mérou, cabillaud, merluche… Cette approche puriste touche au fanatisme dans les préparations : les portions seront servies telles quelles, cuites à la plancha ou au four. Au pire, on se permettra l’ajout d’un « sofrito de ajo » (ail et huile d’olive) ou d’une sauce verte. La carte précise fièrement que les poissons sont servis sans accompagnement, ni citron pour ne pas gâcher le goût du produit. Et il est vrai que rien ne fera dévier le Pescador de l’essentiel : mettre en valeur les meilleurs chairs en atteignant le point de cuisson parfait. Griller en préservant la tendresse et le jus. En bref, assurer notre bonheur.

De retour en France, où si souvent on se plaît à lever les filets des poissons, à garnir les assiettes de montages sophistiqués, à napper le tout d’une sauce crémeuse, on se prend certains soirs à fermer les yeux, et à rêver. D’un soir de novembre frais et pluvieux à Madrid, quand les perturbations venues de Galice envahissent toute l’Espagne. D’un salpicon de marisco à l’huile d’olive parfumée, d’un homard plancha à partager en entrée, avant d’attaquer sole et turbot. Des verres de blanc des Rias Baixas. D’une simplicité et d’une force des saveurs que nous n’avons pas encore retrouvées. Mais rien n’interdit de continuer à chercher, et d’espérer. Quoiqu’il arrive, notre ami le Pêcheur nous attendra toujours là bas, quand nous reviendrons finalement, fatigués et bredouilles.

Prix: Environ 80€ par personne

El Pescador
Calle José Ortega y Gasset, 75
Madrid
901 402 12 90

6 commentaires:

  1. karim22/5/09

    Excellent, je confirme ... et ce petit bol de bigorneaux, apporté avec le menu!

    Une excellente adresse

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  2. Les bigorneaux et quelques tranches d'un excellent saumon fumé...

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  3. oh oui quel souvenir !

    j'en ai encore les papilles qui s'émoustillent :-)

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  4. C'est vrai Arbobo mes yeux s'embrument... On y a passé un excellent diner, un des derniers Pescadors de notre séjour madrilène!

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  5. Oye, vamos a ver, que La Trainera c'est pas mal non plus !

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  6. Bueno,... La Trainera c'est clairement le même esprit. Un (tout petit) avantage au Pescador sur les produits, encore plus beaux, bien que je reconnaisse que la Trainera c'est déjà du très haut niveau...

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