samedi 28 mars 2009

Hanawa: Le temps du Kaiseki

Est-ce la marque d’une recherche minutieuse de l’excellence ? Très souvent, la cuisine japonaise se caractérise par sa spécialisation. Il existe un local pour manger des udons, ces nouilles épaisses japonaises, et un autre pour les ramen, ces grands bols de nouilles de blé d’origine chinoise. Un bar pour déguster sushis et sashimis et un autre, bien plus tard dans la nuit et bien plus braillard, pour grignoter quelques yakitori (brochettes grillées) accompagnées d’une bière glacée. Un restaurant chic pour un repas autour de l’anguille grillée, et un autre non moins somptuaire pour un dîner de tempura. La viande de bœuf se déguste cérémonieusement en shabu shabu (en fondue) dans un environnement luxueux, ou ailleurs, dans une ambiance décontractée, en yakiniku (grillée sur une plaque).

Rare exception à ce principe, la kaiseki-ryori (haute cuisine japonaise), servie dans la chambre d’une auberge traditionnelle, offre à ses amateurs, par la grâce d’un menu fixé par le chef, toute une collection de plats régionaux et saisonniers. Le degré de raffinement varie selon les auberges : de l’ambiance décontractée sur le rivage de la mer du Japon à une cérémonie tout en formalisme et sophistication dans le centre historique d’une ville. Mais partout on retrouve cet équilibre de saveurs entre les plats, la beauté des présentations et de la vaisselle, le service attentionné, confidentiel, et un délicat parfum de cuisine qui imprègne l’atmosphère.

Ce parfum et cet esprit du kaiseki, nous l’avons retrouvé, ravis, à Paris.

Hanawa est un restaurant qui d’emblée nous transporte ailleurs. L’entrée spacieuse donnant sur de larges escaliers, ouvrant à droite sur un salon inoccupé, nous sort de la capitale où l’espace est si rare et les tables serrées. La simplicité du décor, quelques grandes poteries, du parquet, de la lumière sur les murs blancs, des tables espacées, renforce le décalage. Enfin, une légère effluve venue des cuisines, celui du dashi, le bouillon d’algue et de poisson, pierre angulaire de la cuisine japonaise, nous fait atterrir au Japon. Sans paravents en papier, sans jardinets zen, et sans estampes.

La carte, extrêmement riche, permet de composer, à sa guise, tous les éléments d’un repas de kaiseki : mise en bouche, sashimi, poisson grillé, poisson braisé, soupes, légumes cuits, tempuras, voire plat de fondue comme le sukiyaki.

En goûtant un petit bol d’épinards cuits dans un bouillon incroyablement parfumé, nous avons immédiatement compris que la maison était sérieuse, et allait réciter ses classiques avec une exigence impitoyable. Chaque séquence, présentée dans de la très belle vaisselle, a été une confirmation : sashimis de thon gras, de bar, de saint jacques irréprochables, incroyables oursins en sauce ponzu, cabillaud mariné au miso et grillé parfait de saveur et de texture, un consommé de pleurottes et fruits de mer et un flan d’œufs d’une fragrance rare, et un excellent sukiyaki (tranches de bœuf grillées rapidement dans un caquelon, dont on termine la cuisson en ajoutant une sauce soja et des légumes). Pour finir, comme il se doit, nous avons savouré la simplicité d’un vrai gohan (le bol de riz blanc japonais), accompagné de sa soupe miso et de légumes salés.

Il est facile de manger japonais à Paris, de jongler entre bateaux de sushis variés et brochettes de boulettes. Mais retrouver ou découvrir les sensations d’un repas kaiseki est bien plus rare et précieux : une fois entrepris ce voyage, nous ne rêvons, nostalgiques, que de nouveaux départs.

Addition : 80€ minimum par personne (plats entre 15€ et 25€, compter six à sept plats pour deux personnes)

Hanawa
26, rue Bayard
Paris 8ème
01 56 62 70 70
http://www.kinugawa-hanawa.com/

samedi 21 mars 2009

Le Troquet: Vainqueur de la mode

Le bistrot parisien est une bête curieuse : il a généralement rejeté ses origines de débit d’alcool centré autour du comptoir et de ses habitués, où le patron servait « aussi » un plat du jour et des assiettes de charcuterie pour accompagner le pinard, et se centre désormais sur une promesse de bons petits plats gourmands, offerts aux clients en toute décontraction, par la grâce, si possible, d’un adjoint d’un chef d’une grande maison ayant repris sa liberté.

Certains tics y sont obligatoires, dont, notamment, les tables en bois collées les unes aux autres, et bien sûr, les fameux emplacements pour bizuths ou touristes trop naifs : la spéciale dame pipi en face des toilettes, l’auxiliaire de caisse le long du comptoir, le goûteur près la cuisine pour profiter du tintamarre des couverts à trier et des hurlements du chef, et le portier, collé à la porte d’entrée, faisant écran pratique entre l’air glacé de l’hiver et la salle.

Autres tics : la carte sur une ardoise, trimballée de table en table pour les vrais puristes, les réclames anciennes pour alcool punaisées sur murs jaunis, les objets chinés et retapés (une vieille horloge, un arrêt de bus, des plaques de rues), un vrai vieux zinc remonté, mais aussi l’accueil décontracté, le service un peu pressé, autant de signes subliminaux que ces économies vont profiter au client car l’essentiel est dans l’assiette et cet esprit sans chichis.

Certaines maisons se sortent brillamment de cet irritant exercice de style, et le Troquet, visité hier soir, en fait partie. Pourtant en entrant, un premier coup d’œil dans la salle à moitié occupée par des touristes japonais (il était tôt il est vrai) laissait perplexe. Mais l’amabilité de l’accueil, tout en restant ultra efficace, et surtout la qualité des plats l’ont emporté haut la main sur les préventions initiales:

Une petite planche de saucisson, boudin noir et saucisse piquante prise avec l’apéritif qui sentait bon la charcuterie traditionnelle fermière, onctueuse et forte. Des entrées intéressantes (salade de céleri rémoulade aux ailerons de poulet et tranche de porc grillée, saumon mariné avec guacamole, topinambours et cake aux olives), mais surtout des poissons très réussis : une cocotte de lieu jaune aux palourdes aux herbes, et un dos de merlu au four croustillant sur caviar d’aubergine et poivrons : textures très agréables, points de cuisson juste, alliance de saveurs… En dessert, que du bon traditionnel avec un crumble (en verrine certes) et un fondant au chocolat glace vanille.

En partant, la salle était comble d’un deuxième service d’habitués….

On peut donc être bistrotier, gentiment mode en présentant certaines entrées en alignement de tapas sur ardoise ou des desserts en verrine, être gentiment touristique en permettant à des japonais de profiter de Paris, et faire passer une superbe soirée à tout le monde.

Addition: 50€ par personne (menu entrée-plat-dessert à 32€)

Le Troquet
21, rue François Bonvin
Paris 15ème
01 45 66 89 00

lundi 16 mars 2009

Le Duc: Le vieil aristocrate

Le Duc semble être une référence du poisson à Paris. Un restaurant qui mérite attention. En parcourant quelques sites internets, les descriptifs élogieux abondent : de puissants éditeurs ou hommes politiques y dinent. Son patron y aurait inventé le tartare de saint jacques. Il s’agirait, tout simplement, de la meilleure table de poisson de la capitale, point à la ligne. Ces indices concordaient avec les reminiscences d’un amateur de bonne chère, toujours d’excellent conseil, qui nous avait parlé un jour d’une fameuse adresse marine boulevard Raspail, dont il ne retrouvait plus le nom....

Nous sommes donc allés diner un vendredi soir au Duc.

La carte, par son austérité, nous a rappelé notre marisqueria préférée de Madrid : tartare de poisson tel quel ou fruits de mer en entrée, une dizaine de plats à la carte, ou la possibilité de prendre un poisson entier pour deux, un seul fromage disponible, une assiettée de crevettes grises grillées en guise d’amuse bouche : cette simplicité nous a beaucoup plus. La qualité du poisson (bar cuit en vapeur d’algues, sole meunière) était irréprochable, le service, un peu débordé par moment, restait parfaitement professionnel comme il se doit. Nous sommes donc sortis contents, satisfaits, ayant trouvé ce que nous étions venus chercher, et pourtant, ressentant un petit manque.

Serait-ce la salle, toute en boiseries patinées par le brouhaha des conversations et des années de service empressé? Une sole nappée d’un beurre fondu au goût trop présent pour moi, peu habitué à la cuisson meunière ? La famille bourgeoise du quartier, revêche, faisant un scandale en début de soirée pour que chauffage soit immédiatement éteint ? Serait-ce la majorité de la clientèle, opulents touristes sexagénaires cravatés ou permanentées, dont le dîner ponctuait certainement une journée de shopping place Vendôme ou des retrouvailles entre vieilles relations d’affaires?

Quelque part, un fossé semble s’être creusé entre cette honorable adresse qui a dû briller de mille feux au temps d’un Francois Mitterrand déclinant, et la ville que l’on retrouve dehors, une fois les portes en bois blond refermées.

Addition : 100€ minimum par personne (entrée 25€-30€, plat 45€)

Le Duc
243, boulevard Raspail
Paris 14ème
01 43 20 96 30

dimanche 8 mars 2009

Higuma: Ramen contre Ramen

L’avantage de la rue Saint Anne, outre son charme de rue sinueuse du vieux Paris, réside dans son alignement de petits restaurants japonais proposant le même plat : la soupe de ramen, son accompagnement obligé, les gyozas, et ses variantes, les nouilles ou plats de riz sautés. Nous entamons donc une enquête visant à tester ces différentes boutiques pour élire un éphémère vainqueur…

Drôle d’animal que la soupe de ramen : comme les gyozas, elle est d’origine chinoise et a été reprise, adaptée, réintégrée dans la cuisine japonaise. Serait-ce une trace de cette influence étrangère ? Mais il me semble que le plaisir d’avaler ses ramen à grands coups d’aspirations bruyantes est plus terrien, jouisseur, immédiat, que le plaisir, intellectuel et calme, d’avaler un bol de udon ou des sobas froides.

Notre référent du ramen est évidemment au Japon, notamment lors d’un passage à Fukuoka pour son tonkatsu ramen : des ramen cuites dans un bouillon à base d’os de porc blanchi, incroyablement parfumé et quasi crémeux en consistance.

Revenons à Paris où nous avons la chance d’avoir cette concentration de ramen-ya. Notre première enquête nous mène à Kadoya, un relatif nouveau venu (nous ne le connaissions pas avant notre départ pour Madrid il y a trois ans), puis dans la nouvelle succursale de Higuma ouverte rue Saint Honoré.

Les éléments de l’enquête : des edamame pour grignoter, des gyozas, et une miso ramen, qui, par sa consistance et son goût plus prononcé, me rappelle un peu les tonkatsu ramen.

Higuma sort vainqueur éclatant de la comparaison. Edamame corrects contre quelques gousses racornies et flétries, quasi rances chez Kadoya, bouillon bien plus riche et onctueux, tranche de porc savoureuse contre une ramen acceptable mais sans plus, gyozas cuits parfaitement, c’est à dire croustillants et quasi caramélisés sur la base, encore tendres au dessus, contre des raviolis aqueux, certainement enlevés trop vite.

Dernier point impardonnable pour Kadoya : une visite aux toilettes laissait entrevoir une hygiène douteuse : plats entassés dans le lavabo où l’on devrait se laver les mains, porte entrebaillée sur une remise peu ragoutante… Visiblement l’origine chinoise du plat perdure plus que de raisonnable dans certaines boutiques…

Le seul point faible de Higuma était la farce des gyozas, un peu trop chair à saucisse à notre goût. Une ramen ya saura t’elle profiter de cette faiblesse ? La suite lors d’une prochaine visite rue Saint Anne…

Addition : moins de 20€ par personne

Higuma
163, rue Saint Honoré
Paris 1er

Kadoya
28, rue Saint Anne
Paris 1er

dimanche 1 mars 2009

Dessirier: Juste le poisson s’il vous plait

Nous sommes revenus d’Espagne avec une obsession : trouver un restaurant servant du poisson. Pas de fragiles constructions filetières couronnées d’une feuille de thym frit, levées sur une nappe de sauce crémeuse, mais du poisson, juste ca, et ca ne serait déjà pas mal.

Dans certaines « marisquerias » madrilènes, le poisson est tellement sacré qu’il est servi sans accompagnement et bien sûr, sans citron, pour ne pas distraire l’attention de l’essentiel : la fraîcheur des portions imposantes de bar, turbot, sole, mérou, dorade, venus quotidiennement de La Corogne, et passées à la plancha ou au four avant d’être servies telles quelles.

Peut on trouver la même approche du poisson à Paris ? Avec Dessirier, on entrevoit la lumière au bout du tunnel. De l’extérieur, on croit voir un café brasserie classique bordant toutes les avenues et places de Paris. Une fois entré, l’atmosphère est bien plus cossue et confortable : tables larges et espacées, nappes, chaises pansues, peintures vives aux murs : nous sommes bien dans un restaurant bourgeois et sagement moderne. Mais surtout, ils proposent, dans un coin d’une carte très complète, ce que nous cherchions : le poisson, juste le poisson, grillé pour deux personnes. Daurade, bar, turbotin, ou saint pierre. L’accompagnement : purée maison.

Nous avons choisi la daurade. Le service, très professionnel, nous a présenté la bête entière (1,2 kilos), avant de la préparer en se permettant l’ajout d’un peu d’huile d’olive et de poivre. Au final, et même s’il fallait isoler de petites arrêtes non décelées au découpage, une chair tendre, au goût intact, brut et sans artifices.

Un bon poisson, un point de cuisson juste : ce n’est pas si compliqué de se faire plaisir finalement.

Addition : minimum 100€ par personne (entrée 30€, plat 50€)

Dessirier
9, place du Maréchal Juin
Paris 17ème
01 42 27 82 14
http://www.restaurantdessirier.com/