samedi 30 mai 2009

L'Ecailler du Bistrot: Le bistrot et la mer

Il y a des soirs où vient l'envie de la mer, mais sans la force de supporter les magnifiques salles arts déco bruyantes et touristiques des brasseries du groupe Flo, et sans appétit particulier pour une grande sortie dans l'opulence confortable d'un bon restaurant de poissons: non, on rêvasse d'iode simple, comme on avale debout une demi douzaine d'huîtres servies sur leur assiette en carton dans un port. Pour ces soirs là, l'écailler du bistrot est la solution idéale: la version marine du bistrot Paul Bert est posée là, en voisin immédiat, dans la rue du même nom.

Tout y est agréable est maîtrisé: des jolies petites salles se suivent, carrelage au sol, tables en bois poli alignées, murs jaunes, vitrine à l'ancienne donnant sur une rue calme: les codes indispensables du bistrot sont bien au rendez vous, une petite touche de confort et de calme en plus. Serait-ce l'effet lénifiant d'une carte proposant uniquement des produits la mer? La salle, clients comme serveurs, semble assagie, plus détendue que dans les bistrots habituels, sans doute privée du coup de fouet de planches de cochonnailles, de l'excitation de fillettes de rouge vite descendues dans la fièvre de la conversation, ou de la montée d'adrénaline d'une côte de boeuf à partager.

Cette ambiance nous convient parfaitement à l'heure de découvrir la carte: un grand choix d'huîtres, notamment de belons, et la possibilité de s'offrir un plateau de fruits de mer. En dehors, une liste restreinte d'entrées et de plats, présentée sur un tableau noir comme il se doit, dont la simplicité va droit au coeur. Nous avons finalement opté pour six belons numéro 4, posés sur leur assiette d'algues, sans être glacés, et un tourteau farci gratiné au four en entrée, puis pour un demi homard sauce au kari gosse et ses frites maison, et une sole meunière purée: de beaux produits, bien traités, dans une tradition résolument atlantiste. C'est finalement notre seul petit regret: après trois ans en Espagne il nous est impossible, en contemplant des sauces à base de crème et les cuissons au beurre, de ne pas soupirer discrètement pour un filet d'huile d'olive sur une cuisson plancha...

Caprice d'enfant gâté mis à part, cet écailler du bistrot est une vraie jolie adresse dont nous gardons la carte avec plaisir, pour vite la faire partager à un son cercle d'amis proches, et amateurs: on n'a pas tous les jours la chance de s'offrir un bol d'air marin, l'espace de quelques heures, à Paris.

Addition: entre 50€ et 60€ par personne.

L'Ecailler du Bistrot
22, rue Paul Bert
Paris 11ème
01 43 72 76 77

vendredi 22 mai 2009

Da Mimmo: Naples en un coup de menton

Il existe des restaurants où l'on se sent accueilli par une maîtresse de maison. Je me souviens d'un mas provençal, dont l'intérieur était rempli de petites touches d'attention enveloppantes: des jeunes pousses de blé mises dans un pot sur chaque table, pour fêter la nouvelle année, un feu crépitant dans une vieille cheminée, des couverts, des serviettes, des verres en harmonie de beiges et blancs. On sentait immédiatement qu'un esprit maternel arrangeait et pensait la salle, prenant par la main les clients ravis, traités comme des vieux amis de passage, s'abandonnant aux plaisirs d'une soirée bercée de bons plats et vins.

Rien de tel chez Da Mimmo. Dans cette trattoria napolitaine, l'esprit est résolument masculin. La devanture très anonyme donne directement sur les embouteillages du boulevard Magenta. Dans sa salle carrée, des tables alignées au cordeau, des nappes à carreaux rouges et blancs, du verre catégorie incassable, des solides couverts en inox de cantine. Aucun effort de décoration autre qu'un service minimum pour vaguement italianiser l'intérieur: Fernandel en noir et blanc se goinfrant de pâtes, quelques cadres de type Actor's studio sur des murs vaguement repeints en jaune. L'accueil est viril: on reçoit torse bombé, regard clair. Un bonjour, un coup de menton pour indiquer que la réservation est bien prise en compte, puis direction la table.

La trattoria a du succès - ce samedi soir là, toutes les tables étaient prises par une clientèle animée, bruyante, en partie italienne, en grande majorité du quartier. Les deux serveurs assurent. La cinquantaine burinée, ils tracent lentement leur route à travers les tables, indifférents aux regards fixes et insistants de certains clients demandant, main levée depuis cinq bonne minutes, qui une carafe d'eau, qui un menu. Il y a des priorités dans la vie, non mais: par exemple, saluer un habitué d'une accolade et d'une claque sonore sur l'épaule, et prendre de ses nouvelles.

Une fois obtenue, la carte est relativement courte, avec une offre très classique de pizzas et de pâtes, et ne s'embarasse pas de descriptions fleuries, c'est mieux comme ca. Les propositions hors de la carte, crayonnées sur un tableau noir sont alléchantes: bar grillé, pâtes aux langoustines, à la truffe noire... Notre oeil s'attarde également sur le bar à antipasti trônant au milieu de la pièce, d'une variété rare.

La cuisine est vraiment à la hauteur de l'esprit du lieu : forte, colorée, avec d'excellents produits de base. Une assiette d'antipasti allant largement au delà des sempiternels artichauds, tomates séchées et aubergines. Des spaghettis à l'amatriciana avec de la vraie poitrine de porc grillée, des tomates fraiches et des tomates en conserve. Un risotto aux cèpes et grandes langoustines magnifique de texture onctueuse et de profondeur de goût. Le tout servi dans des portions proprement gargantuesques: nous avons dû nous avouer vaincus, et, le souffle court, demander l'addition devant des assiettes non finies, sans passer par les desserts. Serait-ce le signe secret d'une nécessaire reddition, les virilités devant s'étalonner et les locaux l'emporter? En nous raccompagnant vers la sortie, le visage du serveur s'est soudain éclairé: un sourire franc, une poignée de main d'acier: nous avons le droit de revenir chez Da Mimmo, et nous y reviendrons.

Et la prochaine fois, je finirai entrée, plat et dessert.

Addition: de 40€ à 50€ par personne (partager une assiette d'antipasti, puis pâtes entre 20€ et 35€)

Da Mimmo
39, boulevard de Magenta
Paris 10ème
01 42 06 44 47

jeudi 21 mai 2009

El Pescador: Notre ami le Pêcheur

Tout le monde n’a pas la chance de naître avec le goût du poisson bien en bouche. Petit, les premières impressions tiraient franchement vers le négatif : quelques poissons blancs cuits au micro-onde, un soir de semaine, à avaler sous la contrainte maternelle. De temps en temps, du poisson pané, imposteur masqué sous ses croûtes frites, à noyer impérativement dans la mayonnaise. Par la suite, la cantine n’améliorait vraiment pas les choses : nous avons tous redouté le vendredi et ses pavés de poissons mous surcuits, aux bords oxydés par ressac d’un jus fade et amer. Enfin, les années étudiantes, contraintes pécuniairement, ne poussaient pas à la consommation de produits de la mer, l’objectif étant plutôt d’avaler vite un sandwich ou une crèpe complète avant de filer dans un pub ou en soirée.

Et puis, sont venues nos années à Madrid. Une découverte, un moment magique, marquant un avant et un après. Pratiquants réguliers du Pescador en trois ans de séjour, nous en sommes sortis convertis et prosélytes.

Nous sommes rue Ortega y Gasset, dans la partie calme du très bourgeois quartier de Salamanca : de vastes trottoirs ombragés, des immeubles opulents. En hiver, les couples quincagénaires marchent dignement, engoncés dans des lodens verts et des manteaux de fourrure. Les chiens y sont promenés en laisse par des chicas équatoriennes. Les restaurants offrent systématiquement un service de voiturier, et notre Pescador ne déroge pas à la règle. Il faut dire que c’est une vieille institution : une devanture discrète, en bois sombre, ne laisse rien deviner de l’intérieur. Une fois entré, l’œil s’attarde à peine sur la grande salle marine rustique, un rien vieillotte, avec ses nappes à carreaux blancs et bleus et ses chaises en bois épais : il est immédiatement attiré par l’étal réfrigéré, où sont alignés de magnifiques produits de la mer.

Le Pescador appartient à une famille de poissonniers de La Corogne, et cette filiation est évidente quand on regarde la carte, strictement atlantiste : homards, langoustes, langoustines, crevettes, pouce-pieds, tourteaux et araignées sont proposés en entrée, ainsi que le meilleur « salpicon de marisco » (salade de fruits de mer) que nous ayons goûté à Madrid. Puis viennent les poissons : sole, bar, turbot, daurade, lotte, mérou, cabillaud, merluche… Cette approche puriste touche au fanatisme dans les préparations : les portions seront servies telles quelles, cuites à la plancha ou au four. Au pire, on se permettra l’ajout d’un « sofrito de ajo » (ail et huile d’olive) ou d’une sauce verte. La carte précise fièrement que les poissons sont servis sans accompagnement, ni citron pour ne pas gâcher le goût du produit. Et il est vrai que rien ne fera dévier le Pescador de l’essentiel : mettre en valeur les meilleurs chairs en atteignant le point de cuisson parfait. Griller en préservant la tendresse et le jus. En bref, assurer notre bonheur.

De retour en France, où si souvent on se plaît à lever les filets des poissons, à garnir les assiettes de montages sophistiqués, à napper le tout d’une sauce crémeuse, on se prend certains soirs à fermer les yeux, et à rêver. D’un soir de novembre frais et pluvieux à Madrid, quand les perturbations venues de Galice envahissent toute l’Espagne. D’un salpicon de marisco à l’huile d’olive parfumée, d’un homard plancha à partager en entrée, avant d’attaquer sole et turbot. Des verres de blanc des Rias Baixas. D’une simplicité et d’une force des saveurs que nous n’avons pas encore retrouvées. Mais rien n’interdit de continuer à chercher, et d’espérer. Quoiqu’il arrive, notre ami le Pêcheur nous attendra toujours là bas, quand nous reviendrons finalement, fatigués et bredouilles.

Prix: Environ 80€ par personne

El Pescador
Calle José Ortega y Gasset, 75
Madrid
901 402 12 90

dimanche 17 mai 2009

Bizan: Le temps du Kaiseki II

Nous sommes allés chez Bizan il y a quelques mois, sans avoir eu le temps d’écrire sur cette excellente adresse. En laissant filer le temps, les souvenirs précis des plats deviennent flous, mais les impressions s’affinent, s’inscrivant en creux de Hanawa, cet autre restaurant japonais gastronomique où nous sommes par contre souvent retournés.

Bizan est situé en plein cœur de l’action, rue Saint-Anne, au milieu des ramen-ya et udon-ya du quartier. Autant Hanawa, bien sis dans un vaste immeuble moderne du VIIIème arrondissement, ouvre ses grands espaces et ses nombreuses salles au client avec opulence, autant Bizan, engoncé dans un de ces petits immeubles tordus pré-haussmaniens des rues du vieux Paris, est absolument intimiste et vertical : une entrée donnant sur un joli bar à sushis au rez de chaussée, un escalier grimpant vers une petite salle à l’étage, descendant vers des toilettes au sous-sol, et c’est tout. Les murs sont couverts de panneaux de bois clair absorbant les sons, coupant le restaurant du bruit de la rue, et de Paris... Chez Bizan, on entre en apnée dans un monde ouaté, les serveuses marchent à petit pas, les couples attablés chuchotent, le calme est d’or…L’arôme délicat du dashi flotte dans l’air.

Restent quelques vagues souvenirs d’une cuisine extrêmement raffinée, née d’une carte assez courte, mais complète : entrées de légumes variés pleines de fragrance, tempuras légères, laissant le légume croquant à l’intérieur, et si le poisson cuit en sauce à base de miso blanc a laissé des souvenirs contrastés (j’ai personellement adoré, d’autres moins…), l’assortiment de sashimis, d’une onctuosité et d’un goût inégalés (et sensiblement supérieurs à ceux de Hanawa…), nous donne toute licence pour une seconde visite.

D’avance, j’imagine avec délectation un retour à deux, dans ce joli comptoir tout simple du rez de chaussée, quelques bières glacées accompagnées d’edamame, avant, enfin, de laisser entièrement le chef décider : des sashimis en premier posés sur un lit de navet rapé, pour s’échauffer, pour préparer nos palais, puis des sushis, par paires, savourés lentement: agrémentera t’il le chinchard d’une pointe de ciboulette et de gingembre finement haché? aura-t-on de la daurade ou du bar? la chance du soir nous permettra t’elle de déguster du thon gras? et les seiches et leur feuille de shiso, si fraîche et légèrement amère? Le temps est passé, a élagué le superflu : oui, c’est clair et décidé, Bizan, mérite définitivement une seconde visite.

Addition : environ 80€ par personne

Bizan
56, rue Saint Anne,
Paris 2ème
01 42 96 67 76
http://isse-et-cie.fr/bizan/

vendredi 1 mai 2009

L'Ami Jean: La mauvaise éducation

L’Ami Jean semble s’être fait une belle petite place au soleil dans la jungle des bistrots gourmands de la capitale : systématiquement dans les listes de bonnes adresses, au coude à coude avec des valeurs sûres comme chez Michel ou le bistrot Paul Bert, caressé de critiques élogieuses sur des sites français comme étrangers, notre Ami fait en outre salle ultra-comble, comme en témoignent deux tentatives infructueuses pour y réserver une table : une première, un peu naïve, du mercredi pour un vendredi, abruptement coupée, la deuxième, formulée cinq jours à l’avance, pour un mardi soir, ne connaissant pas meilleur sort. Il a fallu toute la ténacité d’un troisième essai, avec une semaine et demi d’anticipation, pour obtenir le sésame d’une réservation, une voix stressée nous annonçant toutefois qu’il faudrait confirmer le matin même sa place au risque de la perdre.

Nous étions donc très curieux, et tous sens en alerte, en nous approchant du lieu tant convoité, dans une rue tranquille du VIIème arrondissement. La porte poussée avec appréhension révélait une salle vieillotte, loin du charme minutieusement pseudo-rétro de certains bistrots parisiens. Chez l’Ami Jean, on est carré : l’étude du faux décontracté laisse place à l’abandon brutal, au désintérêt absolu pour les apparences. Par contre, on ne perd pas le nord et on ne met pas de faux nez à l’heure d’utiliser l’espace : pas un centimètre carré qui ne soit occupé par d’étroites tables de bois brut, collées en rang les unes aux autres, au point où les rainures entre les tables servent de reposoir pour corbeilles à pain.

Nous n’avions pas fait deux pas qu’un serveur cavalait pour s’interposer, vérifiait notre réservation, biffait rageusement notre nom sur le cahier froissé, et nous poussait vers une table, nous intimait de nous asseoir, plaquait sur le bois dans un même mouvement brusque deux cartes, une corbeille à pain, une petite mise en bouche, avant de repartir en courant. Au moment où nos coudes touchaient ceux de nos voisins, et la promiscuité forçait à de petites salutations gênées, un moment de réflexion s’imposait : que vaut le fond sans la forme ? Pourquoi va-t-on au restaurant ?

Ces tourments philosophiques inhabituels n’ont fait que grandir au cours du repas. Pourquoi un menu carte totalement amateur, tapé chez soi en Times new roman 14, imprimé sur sa petite jet d’encre personnelle, puis glissé dans de vilains cahiers en plastique achetés chez Gibert Jeune ? Pourquoi ces courses effrenées des serveurs, hurlant par-dessus les rangées de convives apeurés pour se transmettre demande de vin, d’addition, rab de pain, revenant trois fois à la charge en une minute pour forcer le client à choisir ? Le contraste avec ce qui sort de la cuisine donne le vertige : des assiettes blanches, trop grandes pour les tables, montées délicatement, décorés de fines lames de bacon. De la tête de veau tiède et croustillante en vinaigrette. Une salade d’asperges croquantes et de chipirons. Un filet de canard grillé sur la peau, de la raie beurre demi-sel au four. Un gaspacho d’ananas, une glace et crème à l’Orange accompagnée de son financier. En bref, de superbes plats, traités tout en finesse.

Et puis nous avons cru comprendre. Comment une cuisine si recherchée peut patauger dans cette ambiance de deuxième service de cantine scolaire. Chez l’Ami Jean, on s’aime surtout soi-même. Dans mes assiettes, miroirs de vanité gastronomique, je mets la passion des beaux ingrédients du sud-ouest, l’amour de la cuisine bien faite. Aux clients, je réserve la rotation effrénée du service (bien malin celui qui arrivera à rester plus d’une heure accroché à sa table), la désinvolture, le mauvais stress exhalé par mon petit chef de salle.

Ceux qui ne vont au restaurant que pour accomplir une performance gustative ne seront pas déçus, impressionnés par les références du chef, disciple de Camdeborde. Les masochistes, amateurs de carrés VIP, pour qui difficulté de réservation et service abrupt sont des marqueurs de rareté, donc de plaisir, seront comblés. Les autres, simples amateurs de bons moments, ayant la faiblesse de penser qu’on doit quand même se sentir accueilli, pourront hélas passer leur tour.

Addition : 50€ par personne en prenant le menu (32€), 70€ par personne à la carte.

Chez l’Ami Jean
27, rue Malard
Paris VIIème
01 47 05 86 89
www.amijean.eu/