vendredi 26 juin 2009

Glou: Bistrot 2.0

C'était d'un dîner de retrouvailles avec des amis venus de loin, il faisait beau à Paris, et encore meilleur, ce soir de juin, dans la partie encore calme de la rue Vieille du Temple, juste avant que, croisant la rue des Francs Bourgeois, elle ne résonne du brouhaha des fêtes et des bars, dont les foules débordent sur les trottoirs étroits, le verre à la main.

Ce soir là, nous avons pu découvrir, ébahis, un représentant acclamé de la nouvelle génération de bistrots, dont le nom claque comme une évidence publicitaire tant il est dans l'air du temps, tant il est modeste, clin d'oeil vif et malin, onomatopée parfaite du nouveau bistrot: Glou, Glou comme je bois, Glou comme je trinque, je mange, je profite de la vie.

Il est vrai qu'il y a de quoi profiter: l'établissement et ses quelques tables en tek posées sur le trottoir donnent sur le jardin du musée Picasso, et la vue plus ouverte sur les facades magnifiques de cet hôtel particulier, au milieu du dédale chic des rues étroites du marais, en impose sérieusement.

Une fois la porte franchie, le Glou répond aux attentes les plus sophistiquées, et revisite, néobidulise et post-conceptualise à tour de bras: le bistrot, c'est la convivialité du rire gras, les tables collées les unes aux autres, le coude à coude des clients eméchés? La salle longue et étroite s'organise autour de deux longs plans de travail droits sortis d'un encart de Wallpaper, pour que l'on dîne sur le pouce, bonhomme, perché sur de hauts tabourets. Le bistrot, c'est de l'ancien, du poli par les années? Et le Glou nous donne des jolies pierres apparentes, du contraste avec des couleurs vives sur certains murs, de l'escalier en métal ouvrant sur une magnifique salle à l'étage, haute de plafond, dont les grandes fenêtres ouvertes permettent de profiter de la vue sur le musée... Le bistrot, c'est avant tout une affaire de pinard? Affaire réglée, les vins sont à l'honneur, avec propositions crayonnées au tableau, et sélection à la carte que l'on sent travaillée, offrant la possibilité rare de prendre au verre des bouteilles autrement inabordables. La boustifaille dans un bistrot, ce sont des plats modestes pour accompagner le vin ? La carte propose astucieusement des planches de charcuteries, de fromages, quelques plats mettant en avant les produits du terroir (thon de l'île d'Yeu, cochonaille certes, mais d'iberico, etc.).

Alors peut on se plaindre, pincer du nez, jouer les insatisfaits, quand en plus les prix sont contrôlés? Non, vraiment,
notre Glou est joli, bien pensé, parfaitement conçu, à l'image de ses clients, trentenaires et quarantenaires propres sur eux et décontractés, jouisseurs modernes.

Et pourtant, un léger tiraillement demeure, là, au fond, dans un coin, une fois sortis. Un doute comme cette planche de charcuterie, bonne certes, mais pas totalement à la hauteur de ce que les appelations d'origine laissaient espérer. Comme cette souris d'agneau sèche par endroits, comme une daurade à l'orientale sur boulgour correcte mais sans plus. Et si cette bonne adresse, ce vrai bon plan astucieux n'était qu'un rêve? Une maison de magazine, un décor de télévision, un show room de designer? Si les clients n'étaient que des acteurs? Et le marais si propret un musée?

Et si je m'enquillais un jambon beurre dans un bar à Gentilly, tartiné violemment par un serveur revêche aux doigts salis, en regardant défiler les chiffres du Rapido à l'écran, les pieds dans les miettes de pain et les sachets de sucre vidés?

Addition: 40€ par personne (plat 20-25€ environ)

Glou
101, rue Vieille du Temple
Paris 3ème
01 42 74 44 32

samedi 20 juin 2009

Bistrot Paul Bert: Une réputation méritée (par Ollivier)

Déjà se garer. La rue Paul Bert, proche de Bastille et de l’hôpital Saint-Antoine, zone densément peuplée, ne fournit pas assez de places de Vélib. C’est ce qui gâcha le début où nous attendîmes affamés presque 45 minutes notre dernier convive avant de passer commande. Le deuxième service de 21h30 est un peu plus tranquille que le premier, mais peut révéler quelques déceptions.

Nous étions sept, dont deux new-yorkais (la moitié de la salle était américaine, sans doute un effet Zaggat ou Lonely planet), un suisse, deux habitués et deux novices. L’endroit est beau, c’est un vrai bistrot. La taille et l’espacement des tables est limite mais j’ai vu bien pire. à Paris. Le menu est simple et compréhensible pour tous, entrée plat, plat dessert ou la totale. Nous optâmes pour la totale après un débat hypocrite de 2 minutes (bientôt juillet, suis-je raisonnable ? bon si tu prends aussi une entrée…). L’avantage ici du deuxième service est qu’en bon gourmand je lorgne sur l’ensemble des assiettes des tables voisines : toute la carte est répartie dans la pièce et fait envie.

En entrée, des asperges magnifiques, sauce hollandaise très moutardée. Impeccable, al dente, copieux, qualité du pain de campagne participant au plat. Démarrage du repas réussi, où malgré l’état affamé des troupes (il devait être 22h30) nous pûmes déguster, pas trop grossièrement. L’appétit parfois supplante toute sensation réfléchie.

Autour de moi : un pâté en croûte qui me faisait presque regretter mon entrée, tant il était énorme et croustillant, et des carpaccios de je ne sais quoi.

Le plat, une déception pour moi : une souris d’agneau en cocotte pas assez cuite, malgré une qualité de viande exceptionnelle. C’est le défaut du deuxième service où certains plats à cuisson longue sont relancés, mais le timing n’était pas le bon. Il eut mieux valu me faire choisir un autre plat. Le poulet aux morilles des américains (spécialité de la maison) a déclenché une cascade de « oh my god » avec moults effets d’éventail.

Enfin le dessert, pour moi un macaron géant aux fraises gariguettes : vraiment géant, vraiment délicieux, le goût des fraises exacerbé, une crème aux fraises, un macaron qui avait eu le temps de reposer au moins 24 heures, le tout atteignant un équilibre parfait de sucre et de fruit. Un grand dessert. Mes amis n’en revenaient toujours pas de leur panacotta (un des desserts les plus bêtes au monde puisque ce n’est que de la crème fraîche liquide qui cuit 10 minutes avec de la vanille et du sucre et de la gélatine à la fin ; c’est plus de la cuisine que de la pâtisserie).

Le vin non souffré bio était aussi original qu’excellent, à prix modéré, servi avec malice.

Addition: 50€ par personne (menu entrée plat dessert à 38 euros; prix des vins raisonnable, 25 euros pour une bonne bouteille)

Bistrot Paul Bert
18, rue Paul Bert
Paris 11ème
01 43 72 24 01

samedi 13 juin 2009

Samiin: La délicatesse inattendue

Nouveau billet: Malheureusement, Samiin, ca semble fini

Il existe des exotismes présentables, comme la cuisine thai (ah la citronelle, le piment certes, mais si joliment accompagné par des herbes fraîches écrasées, le poisson cuit dans une feuille de bananier, les currys légers, mon riz gluant, mon bungalow sur ma plage de la mer Adamante, le sourire des gens, c'est le petit véhicule qui les rend heureux, n'est ce pas) ou la cuisine japonaise (ah le poisson cru, si digeste, le dépouillement des préparations, les algues, mon Park Hyatt à Tokyo dans Lost in translation, incroyable le mélange de technologie et de tradition, un pays vraiment à part, c'est le zen qui les rend heureux, n'est ce pas).

Avec la cuisine thai ou japonaise, on ne peut se tromper, donc roulons-nous tranquillement dans un bien-être "holistique" de couverture de magazine: goût et saveurs certes, mais aussi voyages, déco, spiritualité en carton, massages -spa-manicure (forfait Wat Pho ou shiatsu?) et frasques people, forcément attablés dans des Nobus ou Blue Elephants londoniens.

Face à de telles vedettes, la cuisine coréenne semble une bien vilaine cousine campagnarde fraîchement débarquée: il est vrai que clamer son amour de l'ail, du piment et du graillon n'est pas très paillettes. Et certains perdront leur décoiffé à tenter d'extraire un "lifestyle" d'une péninsule qui produit frénétiquement écrans plats, frigidaires, téléphones mobiles, petits 4x4 ou super tankers à double coque, avant de nous piquer sa crise nucléaire annuelle comme on part en vacances d'été.

Et pourtant on se trompe lourdement, et Samiin nous le prouve. Loin du clinquant, mais loin aussi de la rude simplicité des cantines familiales coréennes, une incroyable délicatesse imprègne ce restaurant perdu au bout de la calme et très cossue avenue de Breteuil, derrière les Invalides, nous murmurant une amitié sublimée à la terre, à sa fertilité, aux plantes qui poussent là bas, dans ce pays inconnu. Sur le trottoir près de la porte d'entrée, une vaste vasque en céramique contient de jeunes pousses tendres. L'intérieur, tout en teintes beiges, est doucement éclairé par des lampes en papier imitant des grappes de courges. Les murs imitent le torchis, des pousses de blé sont exposées aux murs. Les plats sont servis dans de la poterie toute simple. L'accueil et la cuisine sont à l'avenant: la douceur prédomine, et le charme opère.

Car oui, définitivement, la cuisine coréenne offre un rapport magnifié à la terre et aux cuissons les plus simples: viande à cuire au barbecue, comme pour le bulgogi, ou riz mélangé à des légumes et des oeufs de poisson, terminant sa cuisson dans un bol brûlant, comme pour le bibimbab d'oeufs de poisson. Mais elle est également extrêmement contrastée, et de là naît le plaisir: de délicats rouleaux de poissons crus, des vermicelles de patates douces sautés, une soupe de sésame gris, un tartare de boeuf aux pignons de pins, de fines tranches de poitrines de porc cuites dans des herbes médicinales, refroidies, à rouler dans une feuille de salade avec des légumes crus avant de les tremper dans une sauce piquante, et bien sûr des kimchis, dont la saveur forte, aillée, acide, piquante, équilibre si bien le riz blanc mangé à la cuillère.

Un vrai joli secret entoure cette cuisine et cette adresse. Alors laissons d'autres courir après des mirages. Un jour, il sera peut être tendance d'apprécier l'ail ou les saveurs piquantes. Un jour, un très onéreux restaurant-bar-boite coréen fera peut-être des ravages dans un Londres à nouveau gagné par une bulle financière. Ce jour là, les Samiins cachés s'effaceront certainement, ne laissant qu'une trace de leurs plantes, leurs poteries, et leurs plats.

Addition: 50€ à 60€ par personne (menus à 35€, 40€)

Samiin
74, avenue de Breteuil
Paris 7ème
01 47 34 58 96

samedi 6 juin 2009

La Régalade: Les grands noms se portent bien

Nous sommes allés hier soir à La Régalade. Nouveaux venus dans le monde des restaurants parisiens, nous y sommes allés sur recommandation d’un expert en bons plans gastronomiques, cependant la prononciation du nom éveillait déjà un vague écho familier. Une rapide recherche sur internet a vite confirmé que nous touchions, sans le savoir, à un monstre sacré : La Régalade serait ni plus ni moins que « le » premier bistrot gastronomique, l’unique, le vrai, l’un. C’est l’histoire d’un jeune chef, Yves Camdeborde, partant du Crillon à vingt six ans au début des années 1990 pour aller reprendre un lieu anonyme et y déployer tout son art et sa technique, tremblement de terre donnant un coup de jeune au monde étriqué de la gastronomie parisienne, jusque là coincé entre ses grandes brasseries et ses restaurants étoilés.

C’est la naissance du phénomène bistronome, soit le beurre, l’argent du beurre, la crémière, en ceinture et bretelles : je vais manger de la cuisine étoilée, à base de produits du marché, avec des serveurs décontractés, au coude à coude avec des clients à mon image, vrais malins distingués, car amateurs de bonne chère mais pas guindés, le tout pour un prix accessible. Que demander de plus ? Bien sûr, comme le décoiffé se travaille minutieusement devant son miroir, la bonne franquette des origines a parfois généré chez les successeurs et les suiveurs des manifestations moins plaisantes: service stressant ou désinvolte, entassement des clients, suppléments élevés demandés dès que l’ombre d’un produit noble plane sur un plat. Bien sûr, Yves Camdeborde a vendu La Régalade et s’en est allé reprendre le Comptoir à Odéon. Que reste t’il alors de ce grand nom ?

Notre Régalade d’hier soir se trouvait difficilement, complétement perdue au fond d’une rue anonyme, étroite mais embouteillée, à une encablure des maréchaux, entre les portes d’Orléans de Châtillon. Un joli petit lieu sans prétention, mais chaleureux, ouvrant sur un zinc derrière lequel le chef servait des apéritifs. Des tables serrées, des boiseries et des murs jaunes, bien sûr. Quelques tableaux égayaient l’ensemble. Et le charme bistrotier a fonctionné, car l’accueil était adorable : des grands sourires nous accompagnent jusqu’à notre table, pourtant coincée contre celle de nos voisins. Le charme a fonctionné, car les serviettes épaisses étaient douces au toucher, car en guise de délicate mise en bouche, une terrine de campagne maison avec de grosses tranches de pain et un pot de cornichons se partageait entre les tables. Le charme a fonctionné, car en dépit d’une affluence impressionnante (salle comble au premier service, comble au deuxième à 21h30, et des habitués attendant pour un troisième service), nous n’avons à aucun moment été pressés. Car les clients attendant leur table ne s’impatientaient pas, jouissant tranquillement du moment offert pour prendre l’apéritif au bar avec le patron. Car la cuisine était excellente, tendance saveurs fortes: beaucoup d’herbes fraîches, du gros sel craquant. Un pressé de cuisses de canard aux foie gras et de superbes asperges blanches à la vinaigrettes d’herbes, parfaitement charnues et cuites, en entrée, puis des filets de dorade rôtis au fenouil, jus de viande aux olives, et un suprême de volaille doré sur la peau, au foie gras et au persil, avec ses pois et une purée à la moutarde à l’ancienne. Pour finir, un reblochon bien affiné et un clafoutis aux cerises et mirabelles. Le tout accompagné d’un puissant coteaux du Languedoc.

La Régalade se porte comme un charme. Nous souhaitons le meilleur à ses nombreux disciples, successeurs, imitateurs, car le plus dur est devant eux : arriver, autour d’une bonne cuisine, à cultiver cet accueil et cette générosité.

Addition : 50€ par personne (menu à 32€)

La Régalade
49, avenue Jean Moulin
Paris 14ème
01 45 45 68 58