dimanche 28 novembre 2010

La vérité sur les crêperies: entretien avec Penn Kalet

Difficile de parler de Penn Kalet sans me montrer grossièrement partial - je vous conseille juste d'aller y faire un tour si vous êtes à Nantes, à côté du cour des cinquante otages, vous ne devriez pas être déçu. Puisque ma nécessaire objectivité m'interdit de m'exprimer, laissons Penn Kalet tout nous expliquer sur la pâte...

Parlons de pâte - quelle est "la" bonne recette pour les puristes?

Chaque village a la sienne et chaque village est persuadé que la sienne est la meilleure au monde.

Ainsi de savoir s'il faut mettre du lait, des oeufs ou même du froment dans la pâte à crêpe de blé noir. Dans un village du Finistère, on mettra tout ça. A 5 kilomètres de là, on te dira que c'est une hérésie, que le blé noir c'est "blé noir, eau et sel" et rien d'autre. Les puristes du premier village diront que c'est n'importe quoi. Ainsi d'une Mamm gozh (grand-mère) de mon bled : "je suis allé dans une crêperie, tu te rends compte, ils ne mettaient même pas de lait dans leur blé noir!". Entendu en 2006.

Mais il y a une raison toute bête à cela : la crêpe c'est un aliment fruste. On mettait dans la pâte ce qu'on avait, on en faisait en quantité quand on avait le temps, on les stockait pour pouvoir en manger dès que possible et on en donnait aux vagabonds très nombreux. Et donc : dans un village plus riche, les gens n'hésitaient pas à incorporer lait, beurre et froment aux crêpes de blé noir. Dans les villages plus pauvres, on mettait le minimum. C'est l'explication. Le croustillant en est une conséquence : les crêpes de blé noir les plus simples croustilleront mieux parce que la cuisson se fait vite.

Donc tout se vaut, je peux indifféremment parler de galettes ou de crêpes et m'empiffrer?

Non, il y a une vraie ligne de fracture, quasi géopolitique : les fines et les épaisses. Tu remarqueras que je n'ai parlé que de "crêpes de blé noir" et pas de... "galettes". C'est que je viens du Finistère et que là-bas, les galettes sont des choses très épaisses qui n'ont rien à voir avec des crêpes.

Pour comprendre il faut tracer une ligne de Vannes à St Brieuc. A l'Ouest, la Basse-Bretagne (on y parlait breton): on ne parle pas de galette mais de crêpes de sarrasin ou de blé noir, elles doivent être fines absolument. Elles seront moelleuses ou croustillantes selon les habitudes locales, mais fines toujours.

A l'est, la Haute-Bretagne (on y parlait galo) où on dit "galette" et où les crêpes sont forcément au froment et sucrées. Les galettes sont épaisses, c'était la tradition. Pourquoi? En fait, il n'y a qu'en Basse-bretagne qu'on les faisait sur la Billig (plaque de fonte)qui permet la finesse, en Haute-Bretagne, on les faisait sur des poêles posées sur des trépieds. On utilisait un rozell (rateau qui sert à étaler) rond, alors qu'en Basse-Bretagne il était fin.

Que fait un crêpier de qualité?

A mon avis, un crêpier de qualité doit déjà savoir ce qu'il fait : des "crêpes de blé noir" ou des "galettes" et choisir ce qui lui plaît le mieux au lieu de répéter que la seule recette qu'il a apprise est la meilleure du monde (toutes les crêperies, surtout en Bretagne, sont persuadées d'avoir LA recette).

Ensuite, comme il pratique une cuisine simple, il doit veiller au choix de ses ingrédients. La farine est primordiale, il y a des différences énormes de qualité de blé noir. Le tour de main, tous les crêpiers l'ont. En fait, ce n'est que ça, c'est pourquoi c'est étonnant de voir autant de crêperie très moyennes.

Quels sont les signes qui peuvent faire soupçonner de la crêpe ou galette réchauffée?

Une texture cartonnée de la crêpe de blé noir. Pour réchauffer, il faut cuire des deux côtés (sinon elles adhèrent entre elles) puis recuire pour garnir... C'est donc très cuit. Ce qui a un effet désastreux sur les "crêpes de sarrasin" (cet aspect cartonné, lisse) mais qui est moins grave pour les "galettes" qui, elles, se réchauffent très bien: d'ailleurs sur les marchés de Rennes ou Nantes, les vendeuses en font des piles entières toutes prêtes qu'elles réchauffent ensuite. De quoi déclencher une émeute à Quimper.

Pour les crêpes sucrées, ce sera plus difficile à voir si c'est bien fait (dans ce cas, ce n'est pas forcément un mal), sinon la crêpe sera carrément brûlée ou très cassante.

Quels sont les petits trucs pour repérer un crêpier qui marge au maximum?

Le truc le plus basique mais qui est courant c'est de réduire la garniture: une complète à 8€ avec une demi tranche de jambon (ou d'épaule), très peu d'emmental et un oeuf (le moins cher des ingrédients). Comme il utilisera tout ce qui est moins cher, le résultat ne sera pas là. Ou encore, une banane balancée froide coupée en deux sur une crêpe crâmée (= réchauffée);avec du chocolat dessus parce qu'il faut débiter.

On peut aussi jouer sur les quantités : tout noyer dans la crème... Ainsi on prétend avoir un fromage "fermier", ce qui est vrai, mais on en fait juste fondre quelques grammes dans de la crème. En règle générale, il faut se méfier de l'utilisation constante de la crème dans les crêperie...

Mais, en fait, ce sont des "escroqueries" que l'on peut trouver dans tout restaurant (comme, ce qui se fait aussi en crêperie, annoncer du Reblochon alors qu'on utilise du "Fromage à Tartiflette"... différence de coefficient de prix de 4). Les mauvaises crêperies jouent sur le fait que les clients n'ont pas vraiment d'exigences quand il s'agit de crêpes, sauf en Bretagne peut-être.

Donc café Breizh: une voie à suivre ou une imposture?

Ils font clairement de la galette. Ils ont de bons ingrédients visiblement mais ce n'est pas ma préférence. Ce n'est pas une imposture ou alors tous les concepts en sont. En tout cas, ils communiquent très bien. Je n'ai pas trop aimé (des crêpes dessert trop sèches) mais cela vient aussi, sans doute, de mes origines de Bas-breton...

Addition: moins de 20 euros par personne

Penn Kalet
2, rue Armand Brossard
Nantes
02 40 35 39 36

samedi 20 novembre 2010

Souvenirs de Shanghai 2: des goûts et des couleurs

J'adore ces petites entrées, ici du tofu braisé dans de la sauce soja épaisse...

... ou du poulet froid mariné au vin de riz

un peu de salade dans une sauce sésame crémeuse

puis vient le canard servi avec des petites brioches...

on met la viande dans ces brioches blanches, puis on déguste

c'était la saison des oeufs de crabe poilu, présentés dans un petit pain de sésame

c'est bête comme c'est bon: des liserons d'eau passés au wok, juste croquants

le rouge du Sichuan: un poisson mandarin émerge

l'odeur puissante du tofu puant est reconnaissable à des centaines de mètres

le tofu puant, c'est comme l'époisse : c'est étonnamment doux au palais

jeudi 11 novembre 2010

Souvenirs de Shanghai 1: l'obsession Din Tai Fung

Bien sûr cela tourne à l'obsession, mais qui d'autre que Din Tai Fung offre ce petit trait brûlant de bonheur aromatique à chaque bouchée? Après Taipei, après Tokyo, nous nous sommes donc rués dans le Din Tai Fung de Xintiandi à Shanghai. Même dans la patrie des xiao long baos, que l'on trouve pour quelques "kuais" au coin de chaque rue, l'établissement connaît un immense succès. La suite en images.


tout commence par de fines lamelles de gingembre dans du vinaigre noir...
puis viennent les xiao long baos, classiques au porc ou au crabe...
il faut tremper le xiaolongbao dans du vinaigre, poser quelques lamelles de gingembre et percer un petit trou dans l'enveloppe du ravioli pour que le jus brûlant s'échappe... 
c'est fait! le ravioli est déjà dans ma bouche, reste le magnifique liquide doré et parfumé à avaler 

dimanche 7 novembre 2010

La Régalade Saint Honoré: des gènes heureux

Bonne nouvelle pour tous les gourmands du nord de Paris: la Régalade, l'illustre bistrot perdu au fin fond du XIVème entre la porte d'Orléans et la porte de Châtillon, a désormais une annexe bien plus accessible, sise au sud du jardin des Halles, dans une portion de la rue Saint Honoré encore épargnée par les boutiques de luxe.

Les grincheux pourront toujours regretter le décor boisé bistrotier de l'établissement original lorsqu'ils entreront dans la salle moderne aux tons blancs et beiges un peu impersonnels, mais toute prévention devrait être levée à la lecture du menu: un solide fond de cuisine traditionnelle familiale, parfaitement exécuté, joliment dynamisé par la vivacité des herbes fraîches, des grains de sel qui craquent, et le recours à de beaux produits.

C'est certainement ce qui fait la marque de fabrique de cette maison: à la Régalade Saint Honoré, on ne se contente pas de servir de bonnes assiettes, mais on est généreux, on ne mégote pas, recevant le client comme on accueille de vieux amis pour ces gueuletons où l'on mange toujours un peu trop, et où une dernière bonne bouteille est toujours débouchée sur la fin, même si elle ne sera pas vidée.

Ainsi, en guise de mise en bouche, une superbe terrine maison, aux chairs goûteuses et humides, circule entre les tables avec du pain craquant et un grand pot de cornichons. Ainsi les Saint Jacques marinées aux herbes et juste rôties arrivent dodues par quatre quand tant d'autres établissements se contenteraient d'en placer deux, ainsi le filet de rascasse sur risotto à l'encre de seiche est une superbe pièce débordant littéralement de l'assiette, et le riz au lait en dessert ne peut être achevé sans l'aide d'un autre convive.

Il était finalement normal, quand on est si généreux, d'ouvrir une nouvelle adresse pour accueillir plus de convives. La Régalade Saint-Honoré ne trahit point son grand frère, et montre que, loin des logiques élitistes qui voudraient raréfier le contenu des assiettes pour en accentuer le brillant, la multiplication des pains est loin de nuire à la qualité.

Addition: 50 euros par personne (menu entrée-plat-dessert à 32 euros)

La Régalade Saint Honoré
123, rue Saint Honoré
Paris 1er
01 42 21 92 40