dimanche 13 février 2011

Aida: le teppanyaki ne connaît pas la crise

Nous n'y sommes pas allés il y a si longtemps mais mes souvenirs sont déjà vagues, comme les premières minutes de réveil estompent les rêves. Quelle soirée avons nous donc passé à Aida? Je revois une façade si simple aux lattis nippons impeccablement blancs et noirs, posée, improbable, dans une rue calme et sévère au sud du Bon Marché. Une jolie petite salle, à peine vingt places, la plupart situées au comptoir pour admirer la cuisine du maître, plus quelques tables en retrait, où nous avons été assis.

Il y a eu une belle succession de petits plats venant ponctuer notre discussion et nos verres de Chablis, mais lesquels? Une mise en bouche, certainement. Un chawan-mushi, un flanc d'oeuf, au bouillon si fin et délicat, à peine un trait d'arômes marins, qu'il en était presque fade. Une coupelle de sashimi de veau de lait, fondant, beurré, exquis. Un joli sushi de poisson bleu, dodu, passé à la flamme, agréable ce léger croquant du riz grillé. Du homard grillé parfaitement saisi, naturel. Du boeuf du limousin grillé. D'autres assiettes encore, dont je ne me souviens plus, toujours apportées dans une extrême discrétion.

Puis l'addition est venue. La soirée était délicate et réussie, le chef était certes un grand maître du teppanyaki, Aida avait obtenu une étoile au Michelin paraît-il, mais à 160 euros le menu, les prix étaient tout simplement déraisonnables, sans prise avec la réalité. Aida vivait toujours dans un rêve, celui du Japon d'avant la stagnation des années 1990, quand les hommes d'affaires faisaient des concours croisés de notes de frais astronomiques dans un pays plongé en pleine bulle financière.

Nous avions donc payé pour voyager un instant dans ces souvenirs d'un monde disparu. Nous étions parmi les derniers dans la salle, attendant notre monnaie, à l'exception d'un couple d'occidentaux assis au comptoir. Le quadragénaire bombait du torse et parlait fort, comme pour être entendu de tous, prenant le chef à témoin de ses saillies sexistes, faisant la roue devant sa longiligne compagne plus jeune d'une quinzaine d'années.

Addition: 200 euros par personne environ (menu dégustation à 160 euros)

Aida
1, rue Pierre Leroux
Paris 7ème
01 43 06 14 18

dimanche 6 février 2011

Le Verre volé: l'amour des bons produits

Voilà une adresse dont l'habillage est tellement juste, séduisant, dans le ton, qu'il en paraîtrait irritant: un emplacement au coeur de l'action, au croisement de la rue de Lancry et du canal Saint-Martin, un concept prêt à être repris en choeur par tous les magazines et guides, celui de la « cave à manger », où l'on achète sa bouteille (peu ou prou) à prix caviste, et l'on la descend, goguenard, avec des petits plats ménagers, un espace minuscule, à peine dix tables, synonyme de rareté, un nom sur lequel cancaner, attention il s'agirait de la femme d'Inaki, mais oui, l'Inaki du Chateaubriand, et ce sont les petits plats qu'il préfère lorsqu'il rentre, épuisé, de ses fourneaux gastronomiques... et bien sûr le succès et la clientèle qui va avec, trentenaires de l'est parisien minutieusement décoiffés, un poil barbus, le macbook pro bien glissé dans la sacoche.

Et pourtant le Verre Volé fait abstraction de tout ce cirque pour taper juste, là où il faut: coincés sur une table dans la salle miniature à l'arrière, notre regard parcours l'ardoise murale et est pris de vertige face à tant d'entrées alléchantes: des aiguillettes de boeuf mi-cuit aux anchois, du groin de cochon en salade, des sardines marinées, des saint-jacques, des assiettes de charcuterie ou de fromage, des oursins, que sais-je d'autre. Les plats principaux contrastent par leur simplicité: c'est andouillette ou boudin noir, complété par un ou deux plats du jour, en cette occasion un superbe morceau de bar aux navets, ou une côte de veau poêlée.

Et la promesse est plus que tenue: tout est plein de saveurs, copieux, puissant, les assiettes accompagnent magnifiquement la belle bouteille de Haute-Côtes de Nuits conseillée par le serveur-caviste. L'esprit nous rappelle finalement ces restaurants à Madrid qui servent dans une petite salle adjacente au bar leur meilleurs tapas en plats principaux: de la cuisine simple, mettant en valeur d'excellents ingrédients, en toute décontraction. On sent qu'au Verre Volé, l'amour des bonnes bouteilles s'est étendu aux marmites, pour notre plus grand bonheur.

Addition: 40 à 50 euros par personne

Le Verre Volé
67, rue de Lancry
Paris 10ème
01 48 03 17 34

dimanche 16 janvier 2011

Le Chateaubriand: hé bien oui, c'est brillant

Le Chateaubriand n'est pas un nom anodin. Au delà de l'établissement bistrotier sis au sud de Belleville, ce nom, à peine prononcé, est un surpuissant concentré des débats qui agitent les gourmands parisiens depuis quelques années. Ainsi, on proposerait de la cuisine gastronomique en s'encanaillant dans un bistrot tout simple de l'est-parisien, sans les flonflons et le décorum de rigueur? Pis, et contrairement aux bistronomes qui ont au moins pour eux leur long apprentissage dans l'ombre de grands chefs, on serait totalement autodidacte? Et Basque espagnol, c'est à dire pas Français? Et on serait mieux classé dans les charts outre-manche que nos illustres maisons michelinées, fierté de notre pays, premier défenseur de ce patrimoine mondial de l'Unesco qu'est la gastronomie française? Pour moi, le label Unesco protégeait des ruines menacées de disparition... alors, le Chateaubriand, symbole d'une nouvelle ère?

Nous étions quasi effrayés de visiter l'objet d'un débat aussi animé. Et puis nous y sommes allés, pour des retrouvailles à deux un soir de semaine avant Noël, quand il fallait encore slalomer entre les amoncellements humides de boue neigeuse avenue Parmentier, le visage picoré par de fins flocons.

Une fois les rideaux de la porte d'entrée franchis, nous avons été accueillis par une belle salle haute de plafond, aux murs jaunis, aux tables en bois sombre occupées par une assistance mixte, une bonne dose d'habitués de l'est parisien, des touristes anglo-saxons plus âgés photographiant leurs plats avec leurs téléphones, une table d'hommes d'affaires en civil, certainement de sortie entre de deux jours de séminaire, une autre de jeunes dandys longilines multipliant les allers-retours pour fumer leurs cigarettes dehors, dans l'air glacé.

Puis le serveur est arrivé, symbolisant à lui seul l'esprit du lieu: l'alliance d'un certain jeunisme et d'une extrême recherche, de la barbe de trois jours, du cheveu décoiffé, du tutoiement facile certes, mais aussi la mise en carafe un brin grandiloquente de notre côte de Beaune, et la présentation vive et passionnée de l'interminable menu unique concocté par le maître de maison.

Un verre de blanc de Touraine primeur légèrement trouble accompagné de petites gougères au pavot a ouvert le bal, puis les assiettes ont succédé aux assiettes: trois mises en bouche, conçues comme un échauffement des papilles: l'acidulé d'un ceviche de bar, la chaleur et les épices d'une petite bouillabaisse, l'onctuosité d'une mousse au gras de jamon iberico sur le léger croquant amer d'un choux de Bruxelles.

Puis est venue l'entrée, un incroyable trait de fraîcheur et de vivacité: des noix de saint jacques à peine cuites, accompagnée de lamelles de radis jaunes et rouge et du zeste de cédrat. L'esprit encore troublé par ce plat, nous avons ensuite enchaîné sur un pavé de lieu jaune aux trompettes de la mort et truffe, dans une sauce pil-pil un poil trop assagie à notre goût, puis de l'agneau à la betterave, quatre petits morceaux de cuisson différentes, posés sur une crème d'un éclatant rose-rouge. En dessert nous avons partagé un assortiment de fromages et une glace au sarrasin et salsifi (je crois) restée incomprise, notre mémoire indisciplinée associant irrémédiablement son goût au smecta.

Au final, à travers ce menu, nous avons découvert un vrai caractère, une facilité étonnante à sublimer chaque aliment pris individuellement, en lui même. Rien d'étonnant à ce que l'on cuise à peine au Chateaubriand, bien au contraire on exprime le goût du produit « cru » en tranchant, en blanchissant, en associant, pour que notre palais serve d'ultime marmite et que chaque goût y laisse une durable impression. Il y a quelque chose des salades thailandaises, associant viande à peine cuite, herbes, zestes de citronelle, dans cette manière de faire.

Ainsi le Chateaubriand, à l'image de ses assiettes, fait coexister quelques tics de style, une belle inventivité et un vrai respect des produits. Pour nous une seule chose importait: à l'issue de notre dîner nous avions rangé dans un coin tout considération gastronomique, ayant surtout la certitude d'avoir passé une superbe soirée à deux.

Addition: 70 euros par personne (menu unique à 50€)

Le Chateaubriand
129, avenue Parmentier
Paris 11ème
01 43 57 45 95