dimanche 28 mars 2010

Gwon's dining: la vérité est dans le kimchi

Manger coréen, c'est souvent aller s'encanailler: on y va sur un coup de tête, un peu roquet, prêt à relever le défi d'une cuisine qui mitonne tout à base d'ail et de piment, provoquant l'effroi du bourgeois: oui, l'ail paysan, l'ail du bouseux aux effluves si puissantes qu'on évite à tout prix de le consommer, et, s'il faut vraiment en mettre, dont on fait rissoler une gousse écrasée avant de vite la retirer et de la jeter au loin. Que dire du piment, venu d'on ne sait quel pays tropical pour brûler nos délicates papilles et tordre violemment notre appareil digestif?

Alors pour se faire des frissons, on pousse la porte d'entrée de cantines aux murs défraîchis par la succession des grillades, offrant les grands basiques: ailes de poulet frites à l'ail, le fameux barbecue coréen, souvent du bulgogi, des lamelles de boeuf marinées grillées à même la table, accompagné de quelques coupelles de kimchi (ces légumes fermentés dans du piment et de l'ail) et de riz, ou, pour les plus chastes, le bibimbap, ce grand bol brûlant de riz et de légumes que l'on touille avec une sauce légèrement piquante avant de l'avaler.

Mais la cuisine coréenne ne peut être réduite à un gros snacking piquant, et quelques établissements à Paris proposent d'étonnantes versions plus raffinées et variées. Gwon's Dining fait partie de cette caste d'heureux élus, et justifie amplement son motto de "cuisine coréenne fine".

Dès l'abord, Gwon's Dining se distingue du tout venant, en misant sur une décoration immaculée, toute en transparence et en dépouillement. L'éclairage, légèrement trop puissant, met cependant bien en valeur de beaux meubles traditionnels posés ici et là dans cette salle en longueur, habilement découpée en plusieurs espaces.

La lecture de la carte confirme notre première impression en offrant de nombreuses propositions méconnues, que nous nous sommes empressés de goûter: des huîtres frites, compactes, panées et dorées à souhait, du bossam (de fines tranches de porc cuites aux épices et refroidies, que l'on mange roulées dans des feuilles de salade avec du kimchi), ici à rouler dans des feuilles de choux chinois en saumure, un tartare de boeuf à la poire, un assortiment de poitrine de porc, de tofu et de kimchi, une marmite de merlan séché au piment, un bibimbap d'orge, le tout arrosé d'un peu de makgeolli, un vin de riz laiteux aux forts relents de céréale fermentée, et d'une bouteille de sancerre tirée d'une carte des vins assez travaillée.

Un petit détail m'a marqué: leur kimchi était visiblement fait maison, à base d'huîtres fraîches. La saveur marine des huîtres restait étonnamment présente et s'équilibrait parfaitement avec l'ail et le piment. Le kimchi servant autant d'accompagnement au riz que d'ingrédient dans de nombreux plats, c'est toute la carte de Gwon's Dining qui se trouve ainsi sublimée. Quand on y ajoute la gentillesse de l'accueil, il n'est pas étonnant que ce restaurant connaisse un succès mérité, comme le montrent les nombreux expatriés coréens attablés entre amis ou en famille, y compris un dimanche soir.

Addition: 50€ à 60€ par personne

Gwon's Dining
51, rue de Cambronne
Paris 15ème
01 47 34 53 17

samedi 13 mars 2010

Tai Yien: Dans les rues de Hong Kong

Certains samedis, on refait son stock de condiments et produits asiatiques en allant, malin, à Belleville, pour éviter les foules se ruant dans les supermarchés chinois de l'avenue d'Ivry. Passer une heure au Paristore est un vrai plaisir, mais aussi une rude épreuve des sens. Ce grand supermarché plutôt bien achalandé est un improbable croisement de Franprix et de Frères Tang: aux rayonnages franchouillards (jambon découenné, petit pois, Vieux Pape, pâtes fraîches "ricotta épinards") succèdent les étalages asiatiques (nouilles instantanées, sauces au haricots noirs, satays, champignons séchés, tofu frais, pâtés de porc vietnamiens) dans une joyeuse cacophonie.

Une fois dehors, le caddie gonflé de victuailles, la faim se fait vive, et il est temps de profiter du quartier pour snacker. Dans ces cas, on peut réserver Le Pacifique pour une meilleure occasion, un dîner façon "banquet chinois", rassemblant une dizaine d'amis autour d'une table ronde, et se diriger plutôt vers Tai Yien, la grande rôtisserie à l'angle de la rue de Belleville et de l'accès piéton au square de Rébeval.

Chez Tai Yien, pas besoin de faire de chichis ou de jouer au gourmet: on est dans un snack de Hong-Kong, comme l'indique l'alignement de canards laqués, travers de porc, poulets suspendus derrière la buée de la vitrine à gauche de l'entrée. Un cuistot officie dans ce box, tranchant les chairs à grands coups de hachoir sur une planche de bois bosselée, avant de les verser dans des bols de soupe de nouilles fumants. Qui dit Hong Kong dit évidemment le meilleur du fameux service à la cantonnaise: un regard maussade en guise de sourire d'accueil, une prise de commande sans piper mot, et des plats balancés sur la table dans un mélange d'efficacité et de dédain fatigué.

C'est ainsi, en toute décontraction, qu'on se rassasiera d'une soupe de nouilles au canard laqué ou d'une grande assiette de riz au porc cha-siu, accompagné d'un plat de légumes verts sautés à la sauce d'huîtres, et de quelques rasades de thé au jasmin: efficace, bon et pas cher, Tai Yien remplit sa fonction à merveille, comme l'atteste le patron du Sin An Kiang, restaurant chinois de référence avenue de la République, croisé dans ce même lieu, et occupé à sucoter ses pattes de poulet vapeur avant d'attaquer, à grandes aspirations, sa soupe de nouilles brûlante.

Addition: 20€ par personne

Tai Yien
5, rue de Belleville
Paris 19ème
01 42 41 00 72