samedi 28 novembre 2009

Chez Miki: Fusion de poche

En ce moment les sorties se font rares, un petit tour le long des rues du haut marais ou autour de République au maximum pour aller faire des courses. Les souvenirs des soirées au restaurant s'estompent... Mais certains affleurent encore, comme cet excellent dîner chez Miki, près de la rue Saint Anne, au printemps dernier.

Miki est bien sûr un restaurant japonais (qui l'eut cru dans ce quartier?), mais attention, un lieu loin d'être classique: ni échoppe à ramen, ni bocal à sushis, ni grand restaurant kaiseki, il perpétue la tradition d'improbables restaurants de poche : certains se souviennent-ils de sushi-ya, la cantine du 19ème arrondissement et son ronchonnant et incompréhensible patron servant de grandes assiettes de sushis à quatre tablées dans son local de 10m2? Hé bien Miki n'est pas loin d'être aussi minuscule, une quinzaine de couverts concentrés sur quatre ou cinq tables dans un bout de couloir, séparé de la cuisine ouverte par un comptoir. Comme les mini-restaurants nichés sous les ponts ferroviaires ou dans les stations de métro à Tokyo, cette petite salle n'en n'est pas moins accueillante et proprette.

L'originalité ne se limite pas à la taille, mais est également dans le concept: Miki organise sa carte de façon bistrotière: grande ardoise dans laquelle on pioche son entrée (carpaccios, salades), son plat (viande ou poisson) et son dessert... Les plats sont par contre japonais: le carpaccio est de la daurade au yuzu, la salade à base de nouilles froides au thé vert, la viande de l'entrecôte "à la japonaise" et le poisson du saumon grillé au miso. A noter: des plats de pâtes très tentants, à base d'udon ou de soba, mais conçus à l'occidentale.

Le résultat est une éclatante réussite: des saveurs pleinement japonaises (voire un goût de yuzu trop prononcé dans le carpaccio), des ingrédients frais, combinées au plaisir des yeux et à la rythmique d'un repas à la française, et à la gentillesse de l'accueil des deux cuisinières.

Miki c'est une idée jolie comme une boîte à bonbon, celle d'une fusion des cuisines ne passant pas par le contenu de l'assiette, mais, de façon plus subtile, par la combinaison des saveurs japonaises et du temps français.

Addition: 40€ par personne

Chez Miki
5, rue Louvois
Paris 2ème
01 42 96 04 88

mercredi 11 novembre 2009

Jipangue: A la recherche de la viande perdue

Il y a deux semaines, pour un premier restaurant depuis bien longtemps, une subite et irrépressible envie de viande m'a submergé, et nous nous sommes donc mis à la recherche d'un restaurant... japonais.

J'en vois déjà certains qui haussent le sourcil et ricanent, ceux pour qui manger japonais, c'est déguster pour un prix exorbitant, l'air pénétré, huit sushis dans une assiette trop grande, chuchotant leur bonheur de trouver enfin des lamelles marines d'exception (oursins, abalones, thon gras, vernis) dans le silence d'un salle contemporaine, à peine troublé par les gargouillantes protestations de notre ventre affamé. Ou d'autres qui détournent la tête, écoeurés par le souvenir de trop de menus brochettes avalés avec des collègues à midi, trop de boulettes mollasses d'origine indéfinie à noyer rapidement dans de la sauce soja, trop d'improbables rouleaux de boeuf au fromage liquéfié collant au palais tout l'après-midi.

Ces mécréants se trompent lourdement. La cuisine japonaise sait parfaitement accommoder la viande, ayant emprunté cet art essentiellement à la Chine et la Corée.

De Chine est venu le shabu-shabu, une fondue de grandes tranches de boeuf extra-fines, de légumes, de tofu cuits dans un bouillon clair, que l'on plonge dans des sauces (une à base de sésame, l'autre de yuzu) avant de déguster. Le sukiyaki est une variante extrêmement populaire: les ingrédients sont ici cuits dans un mélange de sauce soja, de vinaigre, de sucre et de sake, avant d'être trempé par chaque convive dans un oeuf cru légèrement battu, puis avalé.

De Corée est venu le yakiniku, le barbecue, où des tranches de viande sont grillées à même la table, sur un plateau spécial ou un gril encastré, le tout accompagné de petites assiettes de légumes piquants fermentés, les fameux kimchis coréens (kimuchi en japonais) dont la saveur extra-forte s'équilibre agréablement avec le riz blanc.

Shabu-shabu et sukiyaki sont des plats de luxe, qui se mangent dans des restaurants assez haut de gamme au Japon, et dans une ambiance digne. Dans mes souvenirs, le yakiniku est beaucoup plus informel, l'alcool y coule à flot entre collègues braillards profitant d'une bonne grillade.

Pour assouvir notre faim, étant parisiens, nous sommes allés chez Jipangue, un restaurant un tantinet vieillot sis dans le 8ème arrondissement, qui a l'insigne avantage de proposer ces plats à des prix relativement abordables (dans un restaurant haut de gamme, le shabu shabu sera vite facturé plus d'une centaine d'euros pour deux). Ayant pris le soin de réserver une table à l'étage (celui spécialement équipé pour les barbecues), nous avons pu profiter d'excellents kimuchis faits maison, n'ayant pas le goût désagréablement métallique et la texture trop molle des kimchis de conserve, puis d'un yakiniku de porc mariné au miso et d'entrecôte de boeuf, et d'un sukiyaki.

La soirée était donc réussie, et la grillade de bonne facture, mais laissait un regret, commun à de nombreux restaurants japonais de Paris (sauf ici, mais tout se paie): des tranches de viande trop fines, véritables feuilles type carpaccio, et qui ne permettent pas vraiment d'en apprécier la texture et le fondant.

Je me souviens encore avec émotion d'une boucherie à Takayama, dont l'étage, bondé, faisait yakiniku. Nous avions le choix entre une dizaine de morceaux de ce fameux boeuf, les plus prisés étant ceux dont la graisse persillait la viande. Les tranches, petites de taille, étaient assez épaisses, coupées un peu comme des tranches de sashimi, et, grillées, étaient d'un onctueux dans la bouche que je n'ai pas retrouvé depuis...

A quand un restaurant de yakiniku proposant de la viande de boeuf d'origine aux caractéristiques similaires au wagyu, le boeuf japonais (pourquoi pas de la Salers...)?

Addition: 50€ par personne

Jipangue
96, rue de la Boétie
Paris 8ème
01 45 63 77 00

dimanche 1 novembre 2009

Lao Lane Xang II: Quand la foule a raison

Nous sommes allés chez Lao Lane Xang II, appâtés par les critiques unanimement élogieuses, et tiraillés par l'envie de replonger, le temps d'une soirée, dans l'atmosphère joyeusement bordélique du chinatown du XIIIème. Franchi le carrefour de Tolbiac, le long des avenues parallèles de Choisy et d'Ivry, sous la canopée des marronniers, l'illusion d'une télé-transportation « là-bas » est totale: les tours résidentielles des années 1970, le flot des passants, les traiteurs et leurs canards laqués suspendus en vitrines, les agences immobilières ou de voyages, les disquaires et libraires dans les galeries marchandes aveugles, les boulangers et leurs énormes gâteaux mousseux plâtrés à la crème blanche, les supérettes et l'odeur fade et écoeurante des durians; tout tourbillonne autour de l'épicentre absolu du quartier, les Frères Tang, ce grand hangar jouant au supermarché, et sa longue file de voitures paralysées et klaxonnantes, cherchant désespérément à entrer dans son parking souterrain gratuit le dimanche après-midi.

Ce qui est frappant dans ce quartier, c'est qu'il est tout sauf chinois, ou plutôt, il est chinois de partout, sauf de Chine: ses habitants sont en majorité ethniquement chinois (du Guangdong), mais ils étaient établis depuis des générations en Asie du sud-est, avant d'émigrer en France, chassés par l'avancée du communisme: ils ont amenés dans leurs bagages les goûts et les odeurs du Vietnam, du Laos, du Cambodge, la citronnelle, la menthe, le nuoc-mam, plus que les raviolis et petits pains de Pékin, les plats braisés à la sauce soja épaisse de Shanghai, ou le feu des piments du Sichuan.

Pas étonnant finalement qu'en dehors de l'imputrescible Sinorama, dernier vaillant défenseur de l'authentique cuisine cantonnaise, les meilleurs plans du quartier soient plutôt de traquer un phô, de poursuivre le bobun ou d'attaquer un poulet à la citronnelle.

Et chez Lao Lane Xang II, le terrain de chasse est incontestablement giboyeux.

Le restaurant est moderne, un peu comme ces cafés de boulevard systématiquement relookés à la sauce Habitat, où triomphent écrans plats et panneaux de particule gris, mais dans ce cas précis c'est loin d'être irritant, notre ami se distinguant ainsi agréablement de ses innombrables collègues aux décors désuets. L'accueil est pressé car le succès du lieu est total: sans réservation, y compris un lundi soir, il est inutile d'espérer entrer, et plusieurs services tournent sur chaque table.

La carte, essentiellement laotienne avec quelques ajouts thai, est un sans-faute: des currys très honorables, des tripes croustillantes, onctueuses et poivrées, des brochettes de porc à la citronnelle vraiment grillées et non baignées dans l'huile comme trop souvent, un « lap nua » (salade au boeuf haché) plein de saveurs, des propositions de légumes originales: pousses de bambous fraîches, cai lan sauté au poisson séché.

En goûtant les plats, nous avons vite compris que la foule faisant la queue jusque sur le trottoir, et les critiques unanimes, étaient dans le vrai: on peut difficilement demander plus que des plats copieux, peu onéreux, et goûteux.

Addition: environ 30€ par personne

Lao Lane Xang II
102, avenue d'Ivry
Paris 13ème
01 58 89 00 00