lundi 20 avril 2009

A l'est, l'eden

Yangminshan, au nord de Taipei. Il est midi passé. Les nuages caressent la cime des montagnes couvertes d’une végétation luxuriante puis descendent sur nous, par légères nappes de brouillard humide. La vallée est couverte de champs d’arums en fleurs. On vient de loin pour, passée la tonnelle, entrer dans une petite salle donnant sur un étang, s’attabler et déguster des légumes de montagnes: pousses de bambous fraîches, soupe de nouilles, légumes verts branchés inconnus, cassolette d’une sorte de céleri amer aux œufs de canard salés.

Retour en ville. Au sous sol du grand magasin Sogo, la queue s’allonge pour déguster des « xiaolongpao », les ravioles vapeurs originaires de Shanghai. Le début d’une bouchée suffit pour comprendre : le jus, concentrant toutes les saveurs de la farce, éclate, brûlant, dans le palais.

Il est à peine 19 heures. Le soir tombe, l’air est doux et légèrement moite, les néons brillent. Au fond d’un hall plaqué de marbre, un mur d’aquariums où tournent de grands crustacés et des poissons difformes. Une jeune fille en uniforme crie des mots de bienvenue d’une voie nasillarde avant de nous pousser à l’étage, où nous attend une salle moderne, toute en grandes tables rondes, pleine à craquer. Les éclats de voix et le brouhaha empêchent toute conversation. On nous sert vite du thé, des serviettes fraîches. Des bouteilles de bières glacées sont vidées dans de petits verres puis rangées dans un casier sous la table. Puis les plats arrivent : poitrine de porc grasse braisée dans une sauce soja épaisse, crabe frit, épaisses tranches de tofu sautées, liserons d’eau et asperges passés rapidement au wok, aubergines bleues au piment, tranches d’œufs de poisson séchés à déguster avec des rondelles de poireaux et navets crus

Dehors, sous les arcades embouteillées d’innombrables rangées de scootersmal garés, à la lueur crue des Seven Eleven, les tenanciers de « xiaochi », de snacks de rue, halpaguent le flot des passants : ici un étal pour composer le « biandang », la boîte-déjeuner où l’on choisit sur une base de riz légumes salés, chou chinois, œufs au thé, tronçons de poisson frits, cotelettes de porc marinées et grillées, cuisses de poulet à la sauce soja, là une boutique de soupe de nouilles au ragoût de bœuf, ailleurs, dans des volutes de vapeur, des raviolis pékinois, ou des soupes noires reconstituantes à base d’herbes médicinales, un peu plus loin des soupes de riz aux œufs de cent ans.

Partout, des saveurs puissantes et contrastées font soudain passer les plats des restaurants du XIIIème pour de fades calques inachevés. Un retour aux sources s’impose de temps en temps pour retrouver les goûts, les sourires et les couleurs de l’authentique cuisine chinoise.

Addition : 10€ par personne maximum dans les restaurants de montagne et les xiaochi. 15€ par personne chez Ding Tai Fung. 20 à 25€ par personne pour un repas complet chez Shin Yeh.

Ding Tai Fung (raviolis de Shanghai)
Sogo Fuxing department store,
300, Zhongxiao East Road, Section 3, Taipei
www.dintaifung.com.tw

Shin Yeh (cuisine taiwanaise)
34-1, Shuang Cheng Street, Taipei
www.shinyeh.com.tw

Ebisu: L’axe sino-japonais

Hors des chinatowns parisiens, l’écrasante majorité des restaurants chinois en France sont de bien piètres héritiers de leurs glorieux ançêtres. Certes, ils souffrent du manque d’ingrédients locaux de qualité, mais également de l’absence absolue de compétence culinaire de leurs propriétaires, commerçants, ouvriers, paysans ou professeurs avant d’émigrer, rarement restaurateurs ou cuisiniers. Le dernier coup fatal leur est porté par l’ignorance d’un grand public satisfait d’arroser son riz de sauce soja bas de gamme et rassasié de bœuf aux oignons.

Conséquence: le croisement entre tradition chinoise et terre d’accueil française a engendré une cuisine paresseuse, d’inspiration vaguement cantonaise, fardée de quelques ajouts vietnamiens (nems, porc au caramel, poulet sauce citron) et hérissée d’authentiques horreurs évidemment inconnues dans leur pays d’origine, comme le chop suey, véritable poubelle légumière recyclée en plat par la magie d’un coup de wok, ou le digestif offert par la maison, fond d’alcool de riz de cuisine sentant le déboucheur d’évier.

Ainsi vivote le Chinois de quartier, toutes ambitions culinaires soldées, masquant par des voilages salis le vide de sa salle, engagé dans un pugilat sordide avec les pizzerias voisines pour accueillir quelques familles prises de flemme un dimanche soir pluvieux.

Dans pareil panorama, la quête d’une cuisine chinoise raffinée s’annonce difficile, et notre dernier coup de cœur a été à notre grande surprise pour un restaurant… japonais.

Ebisu adosse ses deux petites salles simples, décorées de reproductions de rouleaux peintures de cour, aux contreforts de l’église Saint Roch. Les tables sont quasi toutes occupées par des Japonais, plus même que dans les ramen-ya de la rue Saint Anne toute proche. Le service, tout en attention et discrétion, est également assuré par des japonaises. Mais la cuisine?

Méfiants au premier abord, nous avons vite été conquis par l’exécution parfaitement maîtrisée des plats, la fraîcheur des produits, les ingrédients d’une qualité nettement supérieure à la moyenne, et l’absence de graisse ou de sauces lourdes. La cuisson vapeur est à l’honneur, comme dans le poulet cuit au vin de riz, les couteaux ou le bar à la ciboulette. Le poulet frit au gingembre y est excellent et, fait rarissime, ne baigne pas dans l’huile. Les gyozas sont parfaitement cuits, avec une farce savoureuse, ayant atteint le juste équilibre entre viande et légumes. On trouve dans la carte des plats rares comme des liserons d’eau sautés ou du mapo tofu (plat épicé de fromage de soja et viande hachée).

Bien sûr on pourra toujours faire la moue: l’éclectisme de la carte, échantillon sans logique de toutes les cuisines régionales chinoises, les plats un peu trop systématiquement parfumés au mélange sauce soja-gingembre-ail témoignent d’une réinterprétation et non d’une cuisine authentique. Mais ne nous trompons pas de combat : la chuuka ryori, ou cuisine chinoise du Japon, développée dès le XIXème siècle, a déjà ses lettres de noblesse, et entre cette vision certes assagie, mais savoureuse et épurée, et les louchées de graillon et aigre-doux au glutamate qu’on nous sert habituellement, nous avons choisi notre camp.

Addition : 40€ par personne (plats entre 10 et 20€)

Ebisu
19, rue Saint Roch, Paris 1er
01 42 61 05 90

dimanche 5 avril 2009

Le Pacifique: Le prince de Belleville

A peine née de la rue du Faubourg du Temple, la rue de Belleville grimpe doucement vers Pyrénées au milieu d’un amoncellement de cageots, de camions de livraison, d’étals de de supérettes asiatiques, d’employés poussant des diables surchargés, et, bien sûr, d’un alignement de cantines et restaurants chinois encerclant d’ultimes cahutes à kebabs, sous le regard de badauds goguenards affalés en terrasse devant le Folies.
Le soir tombe, l’air du printemps est doux, c’est l’heure de manger dans ce chinatown plus confidentiel et moins touristique que son grand frère du XIIIème arrondissement.

Mais l’hésitation gagne à l’heure de faire un choix. La vue se brouille, noyée par la multiplication d’idéogrammes en néons, les enseignes affichant des combinaisons aléatoires de murailles, de phénix, de jades et de mandarins, les vitrines embuées donnant sur des intérieurs identiques, fruits du déstockage d’un grossiste d’Ivry qu’on devine tout puissant, couvrant les tables des mêmes nappes en papier, plaçant dessus les mêmes carafons collants de sauce soja et pots aux bords brunis de sauce pimentée solidifiée, distribuant les mêmes porte menus en imitation cuir, et, semble t’il pour un esprit soudain rongé par le doute, refourguant certainement les mêmes plats, nés dans la cuisine crasseuse d’un appartement-raviolis, survivants tant bien que mal aux séances successives de réchauffage et recongélation, jusqu’à trouver repos final dans l’estomac du premier visiteur venu.

Pour nous, ce choix est fait depuis longtemps. Le Pacifique, installé confortablement à l’angle avec la rue Rampal, est un des vaisseux amiraux du quartier. Certes, la décoration commence à dater, à l’image d’un aquarium aux eaux troubles où tournent quelques poissons aux couleurs fanées, ou d’improbables prix encadrés aux murs, baguettes d’or poussiéreuses datant du siècle dernier. Mais les salles spacieuces, dont une largement ouverte sur la rue, abritent de nombreuses tables rondes pour huit ou dix convives, gage d’authenticité rassurant à l’heure de se réunir pour un véritable banquet chinois, où tous les plats sont posés au centre de la table et partagés, comme il se doit.

La carte propose essentiellement de la cuisine cantonaise « de rue » : de la rôtisserie, surtout le canard laqué pipa, moins gras que le canard laqué habituel, des plats cuits rapidement et au naturel, comme le poulet mariné au sel et cuit à la vapeur, ou les crevettes au sel et poivre, des feuilles de brocolis sautées (à demander hors de la carte) dont la légère amertume se marie bien avec le gras de la rôtisserie. Certains dim sum sont une rareté à Paris, comme les travers de porc sauce haricots noirs, la pâte de radis frite, et surtout d’excellents raviolis à la ciboule chinoise.

Alors, oui, le puriste pestera contre le sacrilège de proposer des vapeurs le soir, lui qui a eu le privilège de savourer un vrai Yum Cha (thé accompagné de dims sums) à Hong Kong. Oui les serveurs sillonnent les tables au pas de course, les cuisiniers débitent canards et travers de porc à grands coups de hachoir, les paniers en bambous remplis de raviolis sortent en cadence infernale, oui, en effet, les crevettes tigres sont des produits congelés, mais les saveurs de ces plats simples sont vraies, tout comme la joie de se retrouver, entre nombreux amis, le goût âpre du rosé de Provence bien en bouche, un soir de printemps dans Belleville.

Addition : 30€ maximum par personne (plats entre 8€ et 15€, pour six personnes, commander quatre ou cinq dims sums puis six à sept plats à partager)

Le Pacifique
35, rue de Belleville
Paris 19ème
01 42 49 66 80